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14/04/2015

Où l'on voit que les habitants de Metz savent (enfin) parler anglais et qu'ils entrent dans le 21ème siècle

J'ai envie aujourd'hui de faire mon Delfeil de Ton (chroniqueur constant, pertinent et souvent féroce qui officie au Nouvel Obs depuis plusieurs décennies).

On est toujours le plouc de quelqu'un.

Je le suis, certainement, pour un nombre considérable de mes concitoyens. Cela ne me gêne pas dans la mesure où eux-mêmes le sont pour un nombre tout aussi grand. Ce n'est pas une raison pour ne pas gratter là où ça gêne lorsque, avec insistance, on nous balance des inepties, des projets ubuesques, le tout dans une sauce indigeste et, pour tout dire insincère. Je dis "on" car je ne veux dénoncer personne. Enfin si, il faut bien citer ses sources.

 J'en veux à ceux qui nous emmènent vers quelque chose pour moi d'indésirable et qui s'accompagne d'un verbiage pour moi insupportable. La langue ne ment pas, écrivait Viktor Klemperer (voir le beau film éponyme de Stan Neuman sur la transformation du langage en novlangue qui a accompagné la montée du nazisme en Allemagne). Rien de comparable pour nous aujourd'hui, bien sûr, mais soyons attentifs à quelques signes qui témoignent d'une autre novlangue, l'intrusion de vocabulaire anglais pour désigner ce qui va de l'avant, qui est énergique, qui fait jeune, en opposition à un vieux monde (qui n'est pas celui d'avant-guerre, mais bien celui des enfants de 68). C'est le langage du commerce, d'une certaine culture mondialisée. A cela près, toutefois, que ce n'est pas une langue, mais ce sont des bribes, des termes astucieusement distillés -pour faire une différence-, pour marquer (masquer?)  un territoire, en affranchissement des règles, sans passer par la case nécessaire d'un recul, d'une autocritique. Tête baissée vers l'avenir!

Et même, venant de lieux et de personnes auxquels on ne s'attendait pas.

Quelques citations:

"Showcases à Waves Actisud: Waves est un Open Sky Shopping Center" (programme du Festival  Passages 2015, page 28)

Cet échange entre le Maire de Metz et le Président de Metz-Métropole, rapporté dans le journal local du 14 avril 2015:

Le Maire: - Notre leitmotiv pourrait être back in the race car nous sommes revenus dans le peloton des villes qui innovent. (...) Les pleureuses, je les laisse à leurs pleurs, car personne ne nous attend. On n'a ni la mer, ni la montagne, on a donc intérêt à se bouger pour ne pas être relégué en division 2.

Le Président: - Yes we can!

Par ces mots j'en suis donc, des pleureuses, selon notre Maire.

Je pleure une ville que je voudrais autre, plus respectueuse de ses citoyens, plus harmonieuse dans ses choix. Je pleure d'être dans l'obscurité au moment où se décident les politiques économiques et culturelles de cette ville qui m'a vu naître (Là je ne fais décidément plus mon Delfeil!)

Je pleure ce qu'on me décrit comme une nécessité et qui est en réalité un choix.

 Comme je suis vraiment et décidément le plouc de quelqu'un d'admirable, je vais le citer par son nom et vous donner à lire un extrait tout aussi admirable, tant par ce qu'il dit que par la justesse de sa langue. Montaigne:

"  Nous allons en avant à vau-l'eau, mais de rebrousser vers nous notre course, c'est un mouvement pénible: la mer se brouille et s'empêche ainsi quand elle est repoussée à soi. "Regardez, dit chacun, les branles du ciel, regardez au public, à la querelle de celui-là, au pouls d'un tel, au testament de cet autre; somme, regardez toujours haut ou bas, ou à côté, ou devant, ou derrière vous." C'était un commandement paradoxe que nous faisait anciennement ce dieu à Delphes: " Regardez dans vous, reconnaissez-vous, tenez-vous à vous; votre esprit et votre volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez-la en soi; vous vous écoulez, vous vous épandez; appilez-vous, soutenez-vous; on vous trahit, on vous dissipe, on vous dérobe à vous." (Essais 3, De la vanité)

21:20 Publié dans vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : metz, montaigne, novlangue

28/04/2014

Sur les nouveaux films de Jean-Marie Straub

Jean-Marie Straub était à Metz les 24 et 25 avril pour deux séances de cinéma au Caméo-Ariel, invité par l'association Ciné Art. La première soirée consistait en une carte blanche pour laquelle il avait choisi et a présenté Limelight (Les feux de la rampe, 1952) de Charles Chaplin, film un peu délaissé aujourd'hui, dernière réalisation de Chaplin aux Etats-Unis, qui n'a pas échappé aux foudres du maccarthysme.

Pour la seconde soirée, JMS présentait ses trois nouveaux films, dont le troisième pour la première fois en public: Un conte de Michel de Montaigne (2013, 35 min.), Dialogues d'Ombres (1954-2013, 28 min.) d'après Georges Bernanos et A propos de Venise (2014, 24 min.) d'après Maurice Barrès.

Dans sa ville natale, JMS est d'abord entouré d'amis, de fidèles à son oeuvre, un groupe conséquent d'âges variés, qui se renouvelle: c'est bien le moins, cette tendresse. Cela pourrait être un peu plus avec un public plus large, si un véritable effort était fait de la part de la presse, du public averti, des personnes cultivées. Tous reconnaissent, au moins par réputation, le réalisateur mais l'œuvre, peu la connaissent! Les clichés et a priori circulent beaucoup autour de ce franc-tireur, ce faiseur de films minoritaires. Une rétrospective itinérante se prépare actuellement aux Etats-Unis en prenant comme départ le MOMA de New York, mais peu de gens savent à Metz combien cette oeuvre est importante. Il n'est pas dit que tout soit facile. Aucun des films de JMS, avec et sans Danièle Huillet, se donne d'emblée. Ce n'est pas qu'il faut un niveau intellectuel supérieur, ni faire partie de l'IS (Internationale Straubienne, terme inventé en son temps par Serge Daney), mélange supposé entre la cinéphilie des grandes années et la folie un peu masochiste de ceux qui préfèreraient souffrir dans une salle de cinéma plutôt que se laisser aller aux plaisirs fordiens! Rien de tout cela, mais sans doute un apprentissage, un apprivoisement au contact de l'œuvre. Je vous assure que si, on peut se détacher du film, se laisser aller, ne pas tout écouter, ne pas tout prendre en somme, comme n'importe quel film, et éprouver les délices d'un détachement intelligent (pas celui du zapping ni des pop corns, mais celui d'une contemplation, d'une lecture différée, des strates de pensée, de la poésie). Nous sommes tous tellement formatés que cela peut être difficile, mais pas inaccessible à un esprit léger et à des yeux décillés.

Les feux de la rampe de Chaplin, c'est le choix de JMS (il a hésité entre ce film et Ordet de Carl Dreyer) qui prend goût à revenir à ses premiers amours cinématographiques, lorsqu'il présentait à Metz, au début des années cinquante, les séances du ciné-club La Chambre Noire. C'est un film qu'on redécouvre entièrement à différents âges de sa vie, selon l'endroit où l'on se place, selon la génération à laquelle on s'identifie: entre le triomphe de la jeunesse et l'effacement de la vieillesse, il existe de subtiles variations, des failles, des mélanges générationnels, de l'indifférence, de la cruauté, du mépris, de l'amour véritable. Tout cela avec l'émotion et le lyrisme chaplinesques. La séquence finale présentant le dernier numéro de Calvero (Charles Chaplin), vieux comédien dont personne ne veut plus, avec son acolyte pianiste (Buster Keaton) est un sommet du cinéma: nous arrivons au cœur du mélodrame (qui se termine par la mort de Calvero) tout en pensant inévitablement à ce que ces deux acteurs-réalisateurs ont représenté dans l'histoire du cinéma (le sommet de l'art muet dans sa forme burlesque) et qui se trouvent là, à la fois dans une sorte de dérision de leur art et dans un testament artistique.

Un conte de Michel de Montaigne est la relation de l'expérience de la souffrance (à la suite d'un accident de cheval), qui enseigne un homme sur sa propre mort: Ce conte d'un événement si léger, est assez vain, n'était l'instruction que j'en ai tirée pour moi. Car à la vérité pour s'apprivoiser à la mort, je trouve qu'il n'y a que de s'en avoisiner. La statue de Montaigne à Paris (en face de la Sorbonne), l'image de Barbara Ulrich lisant le texte de Montaigne: quelques plans pour conter, rien de plus, avec ce phrasé straubien bien particulier. On se laisse prendre à la langue de Montaigne, concrète et implacable, méthodique, et qui laisse entrevoir une pensée absolument moderne. Selon JMS, son intérêt pour Montaigne est né à Metz, au Lycée Fabert où il était en classe de philosophie (après une formation au collège jésuite Saint-Clément): son professeur, un certain Philibert, passait tous ses cours à lire Montaigne à ses élèves. Selon lui toujours, il a réalisé un film fordien non fordien. A méditer...

Dialogue d'Ombres est d'un autre registre et d'une autre langue, devenue presque plus lointaine pour nous aujourd'hui que celle de Montaigne: celle de Bernanos, cet écrivain chrétien, complexe, en mouvement toute sa vie. Le film est un dialogue d'amour (et de jalousie) entre un homme et une femme assis sur un tronc dans un pré, au bord d'un étang. Décadrés dans un coin de l'image, les personnages dialoguent à la suite, sans regard, récitants plus qu'acteurs. L'image est toute en profondeur, avec ses micro-événements, ses variations atmosphériques. Le spectateur peut être saisi par cette géographie parallèle au point de s'éloigner du sens du texte, de le considérer à égalité avec cette image de nature: arrivent les mots, les phrases, comme arrivent les oiseaux entre les branches, le frémissement du feuillage, les ondes sur l'eau. On lie enfin ce qui était séparé, comme les deux personnages qu'on comprend assis côte à côte lors d'un dernier plan où ils sont réunis.

A propos de Venise est issu de La mort de Venise, un texte de Barrès. Après Colette Baudoche (Lothringen, 1994), après Au service de l'Allemagne (Un héritier, 2011), c'est le troisième texte de Barrès point de départ et motif d'un film de Jean-Marie Straub (avec Danièle Huillet pour le premier). On arrive là, face à ce texte dense décrivant la décomposition d'une ville, à un plan (presque) unique, serré, sur le bord de la lagune, l'eau clapotant contre la terre et contre un tronc d'arbre au dessus de l'eau. Le texte se déploie là-dessus avec la voix de Barbara Ulrich, lectrice-récitante qu'on ne verra pas mais! Respect absolu de la vérité et du son direct! Bien présente au moment réel de l'image. La suite des plans semblables ne se distinguent que par le raccord des luminosités différentes (faux raccords, vrais raccords?). Ce troisième film confirme une sorte de disparition tout au long de ce programme: celui de la figure humaine, bien présente à l'écran dans le Montaigne, petite et dans la périphérie dans le Bernanos, disparue ou presque dans le Barrès. La figure en tant qu'incarnation plastique, non en tant que présence, tant sont prégnants les dictions et les textes. Cette disparition est plutôt le signe d'une soustraction, rendue encore plus visible lorsque apparaît à la fin du film un extrait de Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967): un moment où tout encore était présent à l'écran: la musique, le désir de l'incarnation, de la présence humaine à l'écran, du jeu franc et complet, celui de Gustav Leonhardt interprétant Bach.

Et JMS de dire: je ne désire rien, je ne veux rien, et j'espère en vouloir de moins en moins!

Enfin, voici un film de 32 minutes (2014) où Jean-Marie Straub raconte sa jeunesse à Metz au début des années cinquante, sa participation aux ciné-clubs de la ville, son refus d'être incorporé pour faire la guerre d'Algérie (ce qui lui a valu une condamnation et l'exil):