12/09/2015
Une exposition sur la Grande Guerre
Lentement, (très) lentement se déploie le centenaire de la Grande Guerre. Quatre ans c'est long. Après un démarrage en fanfare, foisonnant de discours, spectacles, publications, l'actualité a repris son cours, chaotique, difficile à décrypter, amplifiée et mondialisée. Par intermittence, elle laisse apparaître que les conséquences de la première guerre mondiale produisirent les fondations de l'idée de l'Europe que nous tentons difficilement de poursuivre aujourd'hui.
Une nouvelle exposition se tient à Metz, Porte des Allemands, du 10 septembre au 11 octobre prochain (entrée libre du mardi au dimanche de 14h à 19h, renseignements 03 87 55 56 53):
A chacun sa Grande Guerre -Traces, destins, frontières)
Elle a ceci d'original qu'elle retrace les parcours parallèles de trois soldats qui ont combattu sous les uniformes français ou allemands (ou les deux successivement).
Félix Basin était un peintre-décorateur parisien, père de famille, mobilisé en 1914 à l'âge de 38 ans et envoyé avec un régiment de "territoriaux" dans la Marne, puis en Argonne, à Verdun, à Valmy...
Aimé Thiam était lui aussi un père de famille de 31 ans au moment où éclate le conflit. Mosellan, il intègre l'armée allemande. Il est envoyé à Forbach en tant que menuisier, puis, à la suite de son passage en conseil de guerre (il a ravitaillé des familles françaises), il doit rejoindre la Macédoine où il finira la guerre.
Jean Thiriot, Mosellan lui aussi, est mobilisé à 18 ans en octobre 1915 sous l'uniforme allemand et envoyé sur le front russe. Il en déserte en mai 1916 et se constitue prisonnier auprès des Russes. Après plusieurs mois, il est enfin embarqué avec d'autres prisonniers alsaciens ou mosellan sur un bateau en direction de Brest. Il s'enrôle en France (Légion étrangère) et après son instruction est envoyé en Grèce (Salonique). Un peu avant la fin de la guerre, il rejoint les Ardennes.
Ces trois hommes ont laissé de leur guerre de nombreuses traces: dessins, croquis ou aquarelles (ils étaient tous trois artistes ou artisans d'art), correspondance (Félix basin a constitué un carnet de guerre), photographies nombreuses.
Le hasard des legs familiaux et des rencontres ont fait se rejoindre ces trois personnages et leurs fonds.
Faire cohabiter ces parcours si différents, c'est d'abord faire se rejoindre Français et Allemands (même malgré eux) dans un destin commun. Longtemps, et pour plusieurs générations, les Lorrains enrôlés de force dans l'armée allemande et les Malgré-nous (2nde guerre mondiale) ont été réduits au silence. Un sentiment de honte était courant dans les familles concernées (un soupçon de trahison ou de lâcheté, voire d'être profiteur de guerre).
L'exposition, par la mise en valeur des documents, montre d'abord l'humanité, la modestie, l'impuissance de ces soldats, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre, face à des événements qui les dépassent. Leur attachement à leur famille, leur besoin de témoigner, leurs soucis quotidiens, leur confrontation avec des événements et des faits violents en font des personnages émouvants et finalement les rapprochent de nous en ce qu'ils partagent la même humanité.
Nous ressentons leur étonnement, leur douleur, leur colère ou leur résignation: ce ne sont pas des personnages de livre d'histoire, ce ne sont pas des personnages édifiants: ils deviennent pour nous des familiers.
Enfin, il existe le blog de Félix Basin: http://leblogdefelixbasin.blogspirit.com/ :
Cent ans jour pour jour après les événements, donc entre août 2014 et janvier 2019 (janvier 1919: date de sa démobilisation), sont et seront publiés l'intégralité de ses carnets de guerre, de ses photographies et des ses dessins, selon le rythme réel de leur création.
16:28 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : première guerre mondiale, 1914-18, metz, félix basin, jean thiriot, aimé thiam
14/04/2015
Où l'on voit que les habitants de Metz savent (enfin) parler anglais et qu'ils entrent dans le 21ème siècle
J'ai envie aujourd'hui de faire mon Delfeil de Ton (chroniqueur constant, pertinent et souvent féroce qui officie au Nouvel Obs depuis plusieurs décennies).
On est toujours le plouc de quelqu'un.
Je le suis, certainement, pour un nombre considérable de mes concitoyens. Cela ne me gêne pas dans la mesure où eux-mêmes le sont pour un nombre tout aussi grand. Ce n'est pas une raison pour ne pas gratter là où ça gêne lorsque, avec insistance, on nous balance des inepties, des projets ubuesques, le tout dans une sauce indigeste et, pour tout dire insincère. Je dis "on" car je ne veux dénoncer personne. Enfin si, il faut bien citer ses sources.
J'en veux à ceux qui nous emmènent vers quelque chose pour moi d'indésirable et qui s'accompagne d'un verbiage pour moi insupportable. La langue ne ment pas, écrivait Viktor Klemperer (voir le beau film éponyme de Stan Neuman sur la transformation du langage en novlangue qui a accompagné la montée du nazisme en Allemagne). Rien de comparable pour nous aujourd'hui, bien sûr, mais soyons attentifs à quelques signes qui témoignent d'une autre novlangue, l'intrusion de vocabulaire anglais pour désigner ce qui va de l'avant, qui est énergique, qui fait jeune, en opposition à un vieux monde (qui n'est pas celui d'avant-guerre, mais bien celui des enfants de 68). C'est le langage du commerce, d'une certaine culture mondialisée. A cela près, toutefois, que ce n'est pas une langue, mais ce sont des bribes, des termes astucieusement distillés -pour faire une différence-, pour marquer (masquer?) un territoire, en affranchissement des règles, sans passer par la case nécessaire d'un recul, d'une autocritique. Tête baissée vers l'avenir!
Et même, venant de lieux et de personnes auxquels on ne s'attendait pas.
Quelques citations:
"Showcases à Waves Actisud: Waves est un Open Sky Shopping Center" (programme du Festival Passages 2015, page 28)
Cet échange entre le Maire de Metz et le Président de Metz-Métropole, rapporté dans le journal local du 14 avril 2015:
Le Maire: - Notre leitmotiv pourrait être back in the race car nous sommes revenus dans le peloton des villes qui innovent. (...) Les pleureuses, je les laisse à leurs pleurs, car personne ne nous attend. On n'a ni la mer, ni la montagne, on a donc intérêt à se bouger pour ne pas être relégué en division 2.
Le Président: - Yes we can!
Par ces mots j'en suis donc, des pleureuses, selon notre Maire.
Je pleure une ville que je voudrais autre, plus respectueuse de ses citoyens, plus harmonieuse dans ses choix. Je pleure d'être dans l'obscurité au moment où se décident les politiques économiques et culturelles de cette ville qui m'a vu naître (Là je ne fais décidément plus mon Delfeil!)
Je pleure ce qu'on me décrit comme une nécessité et qui est en réalité un choix.
Comme je suis vraiment et décidément le plouc de quelqu'un d'admirable, je vais le citer par son nom et vous donner à lire un extrait tout aussi admirable, tant par ce qu'il dit que par la justesse de sa langue. Montaigne:
" Nous allons en avant à vau-l'eau, mais de rebrousser vers nous notre course, c'est un mouvement pénible: la mer se brouille et s'empêche ainsi quand elle est repoussée à soi. "Regardez, dit chacun, les branles du ciel, regardez au public, à la querelle de celui-là, au pouls d'un tel, au testament de cet autre; somme, regardez toujours haut ou bas, ou à côté, ou devant, ou derrière vous." C'était un commandement paradoxe que nous faisait anciennement ce dieu à Delphes: " Regardez dans vous, reconnaissez-vous, tenez-vous à vous; votre esprit et votre volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez-la en soi; vous vous écoulez, vous vous épandez; appilez-vous, soutenez-vous; on vous trahit, on vous dissipe, on vous dérobe à vous." (Essais 3, De la vanité)
21:20 Publié dans vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : metz, montaigne, novlangue
28/01/2015
Auschwitz-Birkenau, 70 ans, retour avec Marceline Loridan-Ivens
Le 11 novembre dernier, Marceline Loridan-Ivens nous avait reçus, un ami et moi, chez elle à Paris pour la préparation d'une séance de projection du son film Une histoire de vent, co-réalisé en 1988 avec son mari Joris Ivens (dont cela sera le dernier film).
Nous étions venus chercher les bobines du film en 35 mm (oui, cela existe encore!) et enregistrer une interview en vidéo de Marceline pour une présentation du film au cinéma Caméo-Ariel de Metz (oui, cela existe, pour quelques temps encore!)
Elle nous avait fait part alors de son inquiétude face à l'antisémitisme montant ("On criait mort aux juifs en juillet dernier, dans les rues de Paris") . Elle qui exprimait déjà magnifiquement sa liberté et son énergie dans Chronique d'un été, réalisé en 1960 par Jean Rouch et Edgar Morin et dans lequel elle explique à des étudiants pourquoi elle porte gravé sur son bras un numéro matricule ("Ce n'est pas mon numéro de téléphone"), elle était touchée par ce retour de l'antisémitisme, aujourd'hui.
C'était pour elle une vraie douleur et j'imagine ce qu'elle a du ressentir lors des tragiques événements de ce mois de janvier.
Dans son bureau, nous nous sommes arrêtés devant sa collection de "petits morts", figurines mexicaines aux têtes de morts, mariés, femmes élégantes, enfants, ... et sa clinique du docteur Mengele, composition toute personnelle de ces figurines dans une petite boîte en bois, salle d'hôpital reconstituée, ... tout cela exposé avec ce sourire et cette vitalité qui sont les siens.
La vie même, conjurant l'angoisse et le souvenir de ces années qu'elle a passées à Auschwitz à l'âge de 14 ans, voyant mourir son père et sa famille. Marceline bien vivante, belle, active et n'oubliant rien.
Voici la vidéo réalisée lors de notre visite (avec l'autorisation de Marceline Loridan):
18:34 Publié dans cinéma, rebonds | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marceline loridan, auschwitz, joris ivens