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29/11/2010

L'estime de soi

Une pétition circule actuellement pour la suppression des notes à l’école élémentaire : http://www.suppressiondesnoteselementaire.org
J’y souscris, très naturellement, évidemment, logiquement !
Un terme de la pétition me retient : l’estime de soi.

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Nous autres, anciens enfants, devons nous souvenir des moments d’école où un rien, une remarque, un incident, un ratage pouvaient nous anéantir, et pour longtemps. L’éducation ne peut pas se faire par le dressage assuré par les parfois piètres adultes que nous sommes devenus.
Aux yeux de nos enfants nous sommes incontestables, incontournables. Il est facile de leur imposer des jauges qui les contraignent, les maintiennent dans le cadre étroit qui nous dispense de réflexion et de prise en compte individuelle de leurs difficultés.
Les notes et le classement par les notes pour les enfants qui ne possèdent pas encore tous les fondamentaux sont cet alibi pseudo-scientifique qui rassure les adultes et peut parfois cacher la pauvreté d’une éducation, sa paresse, qui élimine ceux qui sont indignes d’efforts et qui valorisent ceux qui « marchent » tous seul. Les bons élèves flattent leurs maîtres qui deviennent alors de bons maîtres.
L’absence de notes n’a pas pour effet d’ouvrir la boîte de Pandore, ce n’est pas une facilité, même à notre époque de sur-investissement de l’enfance (regardez, l’enfant est une des principales cibles de la publicité et des lobbies de consommation). Elle appelle au contraire à une attention plus fine, à une mesure des efforts. Elle n’exclut pas la compétition, elle la rend plus saine.

Aussi ce débat est-il plus important qu’il n’y paraît, d’autant plus que les programmes scolaires, s’il sont réellement lisibles, abandonnent implicitement les notes depuis plusieurs décennies. C’est la pression sociale qui maintient les notes. C’est l’inertie des institutions qui freine un vrai choix à ce sujet.
La France est toujours un pays centralisé. L’élitisme républicain existe, bien que l’ascenseur social ne soit plus qu’une vue de l’esprit. Tous les élèves ne peuvent faire des études, mais les perspectives du marché du travail, de la promotion sociale, sont devenues si faibles que l’élimination d’une partie des élèves de l’école risque d’équivaloir à leur condamnation à la précarité. La pression est ainsi énorme et insoutenable.
L’école est attaquée de toute part : faibles résultats aux yeux (fermés) des exploiteurs d’enquêtes (elles aussi pseudo-scientifiques, qui dispensent d’une vraie réflexion autre que le choix des méthodes d’apprentissage de la lecture), réduction du nombre d’enseignants, réduction de la formation des maîtres.

Tous les enfants ne peuvent pas faire de longues études, mais tous les enfants peuvent réussir à l’école. Tous peuvent être valorisés, vivre des situations enrichissantes et épanouissantes.
Il faut cesser de fixer les yeux toujours au même endroit, de considérer le modèle de réussite personnelle comme unique (la triste et fameuse antienne de « Maître Séguéla » : « si à 50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie »).

Faisons un rêve : la réussite prendra des visages variés, les secondes chances seront nombreuses, l’école sera encouragée dans son rôle fondamental de développement de la solidarité et de la citoyenneté.
On n’a que l’école qu’on mérite, collectivement. C’est aux adultes de faire les choix sur la société qu’ils désirent.

18:51 Publié dans rebonds | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : école, pétition, notes

26/11/2010

La mouche du coche qui pique

Après deux ans de travaux et un nouvel aménagement, la place de la République à Metz vient d'être inaugurée. Le carrosse de Xavier Veilhan, installé à l'origine au Château de Versailles, a pris place dans ce lieu.
Quelques réactions prises au vol (pour ceux qui voudraient bien me croire)

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Les pour :
Qu’est-ce que c’est beau !
Ca me rappelle un film, mais lequel ? Un dessin animé ?
Moi ça me fait penser à la fuite de Varenne.
Quand même, la ville change !
On entre vraiment dans le XXIème siècle.
Faut oser, faut oser, ça dépote !
Je ne comprends pas tout, mais enfin ça doit attirer du monde.
C’est bien pour les enfants, mais ne risquent-ils pas de se blesser ?
Je retrouve mon âme d’enfant.
Il faut prendre l’art comme il est : il doit être confronté au réel.
Moi je ne l’aurais pas fait violet, mais quelle bonne idée, ce carrosse sur la place de la République !
Vive l’ex-Ministre ! Vive le Directeur ! Vivent les Conseillers ! Vive le Maire !
Quelles seront les retombées ? A vos calculettes !
C’est bien, ça fait parler de nous.
Bravo, ça casse une image de la ville militaire, l’histoire bien lourde de ces lieux.
Et si Marie-Antoinette en sortait ?

Les contre :
On dirait ma télé mal réglée !
C’est pas beau.
Oserais-je une critique ? Je ne sais pas, tout le monde a l’air content.
Un rien ancien régime, non ? (nous y retournons à grand pas avec ce maniérisme artistique dans la situation économique actuelle: les privilèges, l’étalement de richesses assumé).
C’est un art qui ne dit pas la vérité, un art qui ment, un art qui ne dit rien.
Oui, ça semble être un art imposé.
On se moquait de l’art académique : voici le nouvel âge de l’art pompier : il ne glorifie plus, il marche dans le vide et s’auto-promeut
De toute façon, ses promoteurs pensent que nous n’y connaissons rien et qu’ils nous montrent la voie !
Voyons cela de près : c’est comme une pub !
Pour chasser Ravaillac ?
C’est beau, c’est laid ? On s’en fout!
Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne!
Ca coûte très cher
C’est en papier ?
Vous savez ce que ça veut dire République ?
Il ne serait pas mieux dans un sous-bois ?

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07/11/2010

Des films, grands et petits

Tout film est une tentative, prélevée sur la complexité du réel, de construire un objet qui a du sens, de mener jusqu’à son terme la folie d’imposer un univers dans l’univers.
Il y a des films péremptoires, des films tyranniques. D’autres aimables et tendres. Il y en a de grands, il y en a de petits. Il y a des films d’auteurs (oui, il y a des auteurs !), il y a des films-machines, industriels. Il y a des films-matraques, il y a des films inaperçus. Il y a des films-impostures et des films-comme-de-l’eau-de-source.
La cinéphilie est morte lorsque personne n’a plus été capable d’appréhender le cinéma dans son ensemble, d’envisager de pouvoir assister aux projections de tous les films.
Comme pour les livres, comme pour la plupart des objets culturels, nous n’aurons peut-être plus le temps de régler notre vie sur quelques repères essentiels, sur une compréhension nette de l’univers et des personnes qui nous entourent, à proximité comme à distance.
Un mal pour un bien, peut-être. Nous sommes tous un peu perdus mais l’horizon est infiniment dégagé. Nous ne sommes plus que consommateurs mais nous avons une infinité de choix.
C’est à voir. Mouvements contradictoires : le monde s’élargit ou rétrécit ?

Parmi toutes les sorties cinématographiques de ces derniers temps, je retiens deux films et les conseille: Au fond des bois de Benoît Jacquot et La princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier. Deux films français, culturellement attachés à la langue, à l’histoire et à la géographie.

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Dans le premier, Benoît Jacquot raconte l’histoire vraie du viol et de l’enlèvement de la fille d’un médecin de campagne par un vagabond, un être frustre et sale doté de quelques pouvoirs magiques de suggestion sur les personnes qu’il rencontre. Cela se passe au milieu du XIXème siècle dans le sud de la France. Ils vivent dans les bois pendant quelques semaines, survivant de rapines ou de l’hospitalité de familles paysannes. La jeune femme finit par connaître un attachement passionné pour ce vagabond, à la fois prisonnière farouche et protectrice, jusqu’au jour où il est arrêté et où la vie semble reprendre son cours normal.
Le film se construit sur ce face à face entre deux acteurs poussés à leurs limites (impressionnants Isild Le Besco et Nahuel Perez Biscayard) dans un décor naturel sauvage de forêts et de montagnes.
Un montage à la serpe, pas un poil de graisse pour ce film rugueux et profond, une bande-son et une musique fortes et décalées : Benoît Jacquot signe ainsi une sorte de déclaration d’amour pour le cinéma, véhicule de l’expression des sentiments les plus subtils et de la passion.
Injustement, ce film est passé trop subrepticement sur les écrans, écrasé par des succès qui ronronnent (le dernier Woody Allen) ou qui finissent par devenir de petites impostures tant ils flattent le spectateur (Des hommes et des dieux).

Bertrand Tavernier nous est indispensable. Toujours en mouvement, il signe son nouveau film comme en contre-pied à l’appauvrissement culturel assumé (le fameux « à quoi sert aujourd’hui de lire La princesse de Clèves ? » émanant du sommet de l’Etat). Il s’attaque donc à gros morceau : une nouvelle de Mme de La Fayette, cette fois consacrée au destin amoureux d’une femme de la noblesse du 16ème siècle déchirée entre un mari imposé et jaloux (le prince de Montpensier), un amour impossible (le duc de Guise) et un précepteur amoureux et déchu (un bon Lambert Wilson) sur fond d’intrigues de Cour et de guerres de religion.

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Il s’y attaque en cinéaste confiant (trop ?) en la capacité du cinéma à évoquer un paysage et une situation aussi complexes. De même que sa confiance en ses acteurs trouve ici ses limites, ceux-ci semblant parfois perdus et sans repères (mais toujours vaillants) dans cet espace plein d’aventures (et de littérature). Entre reconstitution historique et interprétation assumée de l’histoire, il bute sur une complexité et sur des choix. Ce qu’avait, au moins en partie, réussi Patrice Chéreau dans La reine Margot (prendre un parti : celui du théâtre, prendre un ton : celui de l’exaltation des sentiments et des passions, voire l’outrance), Bertrand Tavernier ne le réussit pas, le film oscillant entre grand spectacle et film intimiste, entre ton littéraire et affranchissement de la littérature.
Je pense aussi au beau film de Jacques Rivette, Ne touchez pas la hache (2007) tiré de La duchesse de Langeais de Balzac, passé inaperçu à sa sortie, qui assume pleinement la littérature au point d’être une sorte de rêve cinématographique et littéraire à la fois.

La filmographie de Tavernier comprend de bons films (L’horloger de Saint-Paul, La vie et rien d’autre, Capitaine Conan, Ca commence aujourd’hui) et de moins bons.
La princesse de Montpensier est une tentative qui me laisse sur ma faim, mais je suis preneur de cette tentative, du boitillement qu’elle contient, aussi du fait qu’elle ne verrouille rien, qu’elle laisse place à une nouvelle génération d’acteurs (Mélanie Thierry, Gaspar Ulliel, Grégoire Leprince-Ringuet et Raphaël Personnaz).

D’ailleurs méfions-nous des films trop parfaits : ils sont souvent sans vie. Les blockbusters m’effraient, ils excluent. Ils sont proches de la tyrannie.