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26/11/2010

La mouche du coche qui pique

Après deux ans de travaux et un nouvel aménagement, la place de la République à Metz vient d'être inaugurée. Le carrosse de Xavier Veilhan, installé à l'origine au Château de Versailles, a pris place dans ce lieu.
Quelques réactions prises au vol (pour ceux qui voudraient bien me croire)

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Les pour :
Qu’est-ce que c’est beau !
Ca me rappelle un film, mais lequel ? Un dessin animé ?
Moi ça me fait penser à la fuite de Varenne.
Quand même, la ville change !
On entre vraiment dans le XXIème siècle.
Faut oser, faut oser, ça dépote !
Je ne comprends pas tout, mais enfin ça doit attirer du monde.
C’est bien pour les enfants, mais ne risquent-ils pas de se blesser ?
Je retrouve mon âme d’enfant.
Il faut prendre l’art comme il est : il doit être confronté au réel.
Moi je ne l’aurais pas fait violet, mais quelle bonne idée, ce carrosse sur la place de la République !
Vive l’ex-Ministre ! Vive le Directeur ! Vivent les Conseillers ! Vive le Maire !
Quelles seront les retombées ? A vos calculettes !
C’est bien, ça fait parler de nous.
Bravo, ça casse une image de la ville militaire, l’histoire bien lourde de ces lieux.
Et si Marie-Antoinette en sortait ?

Les contre :
On dirait ma télé mal réglée !
C’est pas beau.
Oserais-je une critique ? Je ne sais pas, tout le monde a l’air content.
Un rien ancien régime, non ? (nous y retournons à grand pas avec ce maniérisme artistique dans la situation économique actuelle: les privilèges, l’étalement de richesses assumé).
C’est un art qui ne dit pas la vérité, un art qui ment, un art qui ne dit rien.
Oui, ça semble être un art imposé.
On se moquait de l’art académique : voici le nouvel âge de l’art pompier : il ne glorifie plus, il marche dans le vide et s’auto-promeut
De toute façon, ses promoteurs pensent que nous n’y connaissons rien et qu’ils nous montrent la voie !
Voyons cela de près : c’est comme une pub !
Pour chasser Ravaillac ?
C’est beau, c’est laid ? On s’en fout!
Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne!
Ca coûte très cher
C’est en papier ?
Vous savez ce que ça veut dire République ?
Il ne serait pas mieux dans un sous-bois ?

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27/10/2010

Sirènes

Sur la façade nord de la cathédrale de Metz se trouve un bas-relief du XIIIème siècle délicatement sculpté de draperies, de motifs décoratifs et floraux contenant les représentations d’un bestiaire médiéval : dragons, griffons, animaux hybrides, sirènes, personnages grotesques.
Parmi elles, une sirène à double queue attend.

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Figure qu’on retrouve aussi aux Musées de la Cour d’Or , peinte sur les planches du plafond de l’hôtel du Voué, maison patricienne du XIIIème siècle.
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De face, avec un léger sourire, que nous cache-t-elle, cette sirène de la cathédrale qui semble à la fois en représentation (altière, tranquille) et dans une provocation (sa présence en ce lieu, offerte à la vue de tous) ?
Apparemment innocente certes, charmeuse figure d’un imaginaire aujourd’hui disparu, elle est la double tentation (sexuelle et intellectuelle), la manifestation d’une assez discrète injonction qui n’est pas morale, mais somme toute assez pratique. Elle semble dire : toi qui passes par là, pour peu que tu me voies, méfie-toi de toi-même, de tes certitudes, réfléchis.
Comme toute sirène, c’est une vision. Persistante. Elle ne raconte pas d’histoire. Elle se propose, ne demande pas à la suivre, s’ennuie. C’est une figure philosophique.
Elle mériterait mieux que sa petite apparition, depuis sept siècles, dans ce lieu d’histoire (ce qui est déjà miraculeux). Elle mériterait d’être plus connue, de remplacer ce lassant Graoully (le dragon de Metz) dont on parle tant : elle est beaucoup plus fine, a beaucoup plus de sens (dans tous les sens).
Je suggère qu’elle devienne l’emblème de la ville.

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Nouvelle gare de Metz, 1905 : l’empereur Guillaume II veut affirmer la présence impériale dans la ville annexée (présence militaire et religieuse). Dans la fastueuse partie de la gare qui lui est réservée (le Pavillon de l’Empereur), lourdement ornementée, que trouve-t-on ? Sur les chapiteaux des colonnes du vestibule, une figure qui rappelle étrangement notre petite sirène, attributs sexués en moins (les queues). Le geste y est, mais les mains tiennent des rubans. La jeune femme est habillée pour un bal, couronne, perles, motifs floraux.
Comment ne pas faire ce lien avec la sirène de la cathédrale, dans ce lieu néo-roman aux nombreux rappels médiévaux (qui justifient, aux yeux des Prussiens, l’appartenance de la ville à l’Empire) ?

Les sirènes

Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui
Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?
Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées
Et mes vaisseaux chantants se nomment les années


(Guillaume Apollinaire – Le Bestiaire)

21:17 Publié dans vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sirène, metz

19/09/2010

Rozérieulles, 1870

Ici le sang et les larmes ont séché depuis longtemps. Des générations découvrent à leur tour ce lieu de mémoire identifié discrètement et tendant à s’effacer parmi champs et forêts.
Il existe dans mon pays ces traces frontalières qui sont une identification ancienne : bornes-frontière frappées d’un côté d’un F et de l’autre d’un D souvent buriné par les vainqueurs, monuments-vigies dans la campagne, forts enfouis dans les forêts et les côtes alentour, signes de défis mutuels dans l’architecture et les rues de Metz que l’on aperçoit en contrebas, dans la vallée.
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Ici, sur la côte de Rozérieulles s’est tenue en août 1870 une grande bataille inauguratrice de ces déchirements entre France et Allemagne qui ont marqué un siècle, dernière guerre ancestrale, à chevaux et cuirasses, avant l’entrée dans la violence méthodique, brutale et industrielle du siècle passé.
Promenade par les petits chemins en sortant du village en direction de Gravelotte, entre forêts sur les côtes et, juste au-dessus, vers le plateau aux grands champs cultivés des fermes de Moscou et de Leipzig.
Ce plateau, jusqu’à Mars-la-Tour est parsemé de tombes, de bornes, de monuments aux morts.
A la lisière de la forêt de Rozérieulles se trouvent deux monuments en mémoire des hommes tués à cet endroit le 18 août 1870. Le premier, allemand, en pierre de Jaumont, rigide construction, est gravé des noms des officiers et de la croix noire. A quelques dizaines de mètres, plus discret, plus léger, presque fantaisiste dans son artisanat de fabrication, se trouve un monument français gravé de lettres maladroites, scolaires, posé là sans doute plus tardivement, après 1918 (lorsque cette terre est redevenue française).
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Le retour vers la vallée de Châtel-Saint-Germain, en vue de la ferme de Moscou, passe par cet arbre extraordinaire nommé « le hêtre des batailles ». Il résume à lui seul, par le hasard de son développement, par ses branches filant au ras du sol et donnant naissance à d’autres arbres, par son double tronc tourmenté, par de monstrueuses soudures de branches entre elles comme des êtres siamois, par l’énergie étrange qu’il dégage, il résume le lieu où nous sommes et l’histoire qui s’y trouve mieux que toute autre description.

Cette histoire figure peu dans les commémorations : elle a été vaine, elle est enfouie derrière de plus récentes et abominables. Elle prend le charme d’un conte, devient cet irréel récit dont les traces se perdent parmi les arbres.

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