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18/12/2010

Critique sans permis, une réponse à Michel Ciment

Michel Ciment, éminent critique de cinéma (Positif, Le Masque et la Plume) est venu dernièrement à Metz rencontrer des étudiants de l’Université et présenter un film (très hagiographique) sur lui-même.
Participant a minima à l’opération (en tant qu’animateur d’association), j’ai partagé sa table au restaurant et assisté au débat.
Moments éprouvants pour votre serviteur lorsqu’il a été question de Jean-Marie Straub et de la rétrospective qui lui sera consacrée en mars prochain dans sa ville natale. La détestation de Michel Ciment pour l’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub est totale, définitive et manifeste, quand bien même il s’adresse à l’un des organisateurs de cette rétrospective, en plein effort pour la mettre sur pied. La répétition de la sentence devant les étudiants en cinéma, potentiels spectateurs, a fini de créer en moi ce malaise que je rapporte ici et qui m’interroge.

Ce qui pose problème n’est pas de forcer à aimer, mais de forcer à détester, sous peine de n’être pas accueilli dans le réseau de ceux qui pensent dans les médias et qui ont pour principal soucis de se démarquer des pensées uniques en en créant d’autres. Construire une pensée sur la destruction d’une autre qui ne vous appartient pas revient à tourner en rond et à finir par se contredire soi-même.

Danièle Huillet et Jean-Marie Straub ont cette capacité de rejet total pour le spectateur. On les aime ou on les déteste. Pas de milieu. Cela fait partie, intimement, de leur existence de lutteurs en cinéma. Lutteurs, cela on peut leur reconnaître et parier sur l’avenir de leurs films, même dans le « chaos du goût » actuel qui illusionne encore sur une fonction de séduction du cinéma alors même que la séduction a glissé vers d’autres sphères de l’image animée, est devenu le principal vecteur de la consommation de masse et de mensonges généralisés. Si le spectateur croit encore ce qu’il voit, ce n’est plus au cinéma, c’est partout ailleurs où se trouvent les ersatz, les clones. La salle de cinéma est encore un lieu assez pur pour lutter contre la crédulité : elle propose des films aux alternatives et aux écritures variées, une position de spectateur qui laisse place à l’interprétation, au recul (installation du spectateur dans la salle, rites liés au spectacle) et qui permet un travail face au film, la mise en place d’une critique personnelle.

Michel Ciment suggère, dans le film qui lui est consacré, de mettre en place un « permis de critiquer » pour éviter d’intempestives interventions de tout un chacun qui mettrait son grain de sel dans (j’interprète) l’ordonnance bien réglée des prescripteurs. C’est une boutade, paraît-il. Mais dans quel état se trouve réellement la critique cinématographique actuelle? Elle se trouve proche du néant, remplacée par la promotion pure et simple des produits, l’un chassant l’autre au rythme effrayant de l’industrie cinématographique. Lui-même en est le témoin vivant, la revue Positif étant presque la seule aujourd’hui à proposer de vraies critiques. Alors où se trouve la contradiction ?
Pour tenter de lutter, si cela est possible, contre sa sentence définitive, je suggère à Michel Ciment d’écrire une critique approfondie sur le prochain film de Jean-Marie Straub qui sort en janvier 2011. Qu’il le voie et en juge. Qu’il remette en cause son jugement et qu’il explique sa position à ses lecteurs.
Les Straub méritent bien qu’on se penche sur eux. Leur cinéma est exceptionnellement fidèle et sincère. Il ne s’inscrit dans aucun système habituel de production cinématographique et déroute la critique car il sort de tous les sentiers battus : libre dans son économie, son esthétique, ses formats, ses processus de fabrication.
Il ne sera jamais populaire, mais durera certainement.

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Emis ce jour-là par un professeur d’université : trop de films sortent, trop de films inutiles sont subventionnés. Pour réduire le nombre de films, il suffirait d’introduire, dans les commissions d’attribution des subventions publiques pour le cinéma, des représentants du public (s’entend du grand public). L’effet ? Je le crains, la disparition des « petits » films : C’en serait fini de Jacquot, Rivette et même Ruiz (prix Louis Delluc cette année), des réalisateurs adoptés par la France (qui ne trouvent pas à financer leurs films ailleurs), des films à petit public, de la variété qui est proprement française.
C’en serait fini des autres formes de films que les revues de cinéma oublient de citer : les films courts, les documentaires.
Car considérer et ne juger le cinéma que comme un produit industriel et populaire, assumer une élimination des films par l’évaluation de leur nombre de spectateurs, reviendrait à tuer le cinéma en France, déjà mort dans de nombreux pays.

07/11/2010

Des films, grands et petits

Tout film est une tentative, prélevée sur la complexité du réel, de construire un objet qui a du sens, de mener jusqu’à son terme la folie d’imposer un univers dans l’univers.
Il y a des films péremptoires, des films tyranniques. D’autres aimables et tendres. Il y en a de grands, il y en a de petits. Il y a des films d’auteurs (oui, il y a des auteurs !), il y a des films-machines, industriels. Il y a des films-matraques, il y a des films inaperçus. Il y a des films-impostures et des films-comme-de-l’eau-de-source.
La cinéphilie est morte lorsque personne n’a plus été capable d’appréhender le cinéma dans son ensemble, d’envisager de pouvoir assister aux projections de tous les films.
Comme pour les livres, comme pour la plupart des objets culturels, nous n’aurons peut-être plus le temps de régler notre vie sur quelques repères essentiels, sur une compréhension nette de l’univers et des personnes qui nous entourent, à proximité comme à distance.
Un mal pour un bien, peut-être. Nous sommes tous un peu perdus mais l’horizon est infiniment dégagé. Nous ne sommes plus que consommateurs mais nous avons une infinité de choix.
C’est à voir. Mouvements contradictoires : le monde s’élargit ou rétrécit ?

Parmi toutes les sorties cinématographiques de ces derniers temps, je retiens deux films et les conseille: Au fond des bois de Benoît Jacquot et La princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier. Deux films français, culturellement attachés à la langue, à l’histoire et à la géographie.

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Dans le premier, Benoît Jacquot raconte l’histoire vraie du viol et de l’enlèvement de la fille d’un médecin de campagne par un vagabond, un être frustre et sale doté de quelques pouvoirs magiques de suggestion sur les personnes qu’il rencontre. Cela se passe au milieu du XIXème siècle dans le sud de la France. Ils vivent dans les bois pendant quelques semaines, survivant de rapines ou de l’hospitalité de familles paysannes. La jeune femme finit par connaître un attachement passionné pour ce vagabond, à la fois prisonnière farouche et protectrice, jusqu’au jour où il est arrêté et où la vie semble reprendre son cours normal.
Le film se construit sur ce face à face entre deux acteurs poussés à leurs limites (impressionnants Isild Le Besco et Nahuel Perez Biscayard) dans un décor naturel sauvage de forêts et de montagnes.
Un montage à la serpe, pas un poil de graisse pour ce film rugueux et profond, une bande-son et une musique fortes et décalées : Benoît Jacquot signe ainsi une sorte de déclaration d’amour pour le cinéma, véhicule de l’expression des sentiments les plus subtils et de la passion.
Injustement, ce film est passé trop subrepticement sur les écrans, écrasé par des succès qui ronronnent (le dernier Woody Allen) ou qui finissent par devenir de petites impostures tant ils flattent le spectateur (Des hommes et des dieux).

Bertrand Tavernier nous est indispensable. Toujours en mouvement, il signe son nouveau film comme en contre-pied à l’appauvrissement culturel assumé (le fameux « à quoi sert aujourd’hui de lire La princesse de Clèves ? » émanant du sommet de l’Etat). Il s’attaque donc à gros morceau : une nouvelle de Mme de La Fayette, cette fois consacrée au destin amoureux d’une femme de la noblesse du 16ème siècle déchirée entre un mari imposé et jaloux (le prince de Montpensier), un amour impossible (le duc de Guise) et un précepteur amoureux et déchu (un bon Lambert Wilson) sur fond d’intrigues de Cour et de guerres de religion.

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Il s’y attaque en cinéaste confiant (trop ?) en la capacité du cinéma à évoquer un paysage et une situation aussi complexes. De même que sa confiance en ses acteurs trouve ici ses limites, ceux-ci semblant parfois perdus et sans repères (mais toujours vaillants) dans cet espace plein d’aventures (et de littérature). Entre reconstitution historique et interprétation assumée de l’histoire, il bute sur une complexité et sur des choix. Ce qu’avait, au moins en partie, réussi Patrice Chéreau dans La reine Margot (prendre un parti : celui du théâtre, prendre un ton : celui de l’exaltation des sentiments et des passions, voire l’outrance), Bertrand Tavernier ne le réussit pas, le film oscillant entre grand spectacle et film intimiste, entre ton littéraire et affranchissement de la littérature.
Je pense aussi au beau film de Jacques Rivette, Ne touchez pas la hache (2007) tiré de La duchesse de Langeais de Balzac, passé inaperçu à sa sortie, qui assume pleinement la littérature au point d’être une sorte de rêve cinématographique et littéraire à la fois.

La filmographie de Tavernier comprend de bons films (L’horloger de Saint-Paul, La vie et rien d’autre, Capitaine Conan, Ca commence aujourd’hui) et de moins bons.
La princesse de Montpensier est une tentative qui me laisse sur ma faim, mais je suis preneur de cette tentative, du boitillement qu’elle contient, aussi du fait qu’elle ne verrouille rien, qu’elle laisse place à une nouvelle génération d’acteurs (Mélanie Thierry, Gaspar Ulliel, Grégoire Leprince-Ringuet et Raphaël Personnaz).

D’ailleurs méfions-nous des films trop parfaits : ils sont souvent sans vie. Les blockbusters m’effraient, ils excluent. Ils sont proches de la tyrannie.



25/09/2010

le cinéma exposé: une cinéphilie homéopathique

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Il y a, exposée au Centre Pompidou-Metz (par ailleurs très belle exposition Chefs d’œuvre ?), une série de dessins de Picasso (le peintre et son modèle) qui encadre un petit écran de même format où passe un extrait muet du film Le Mystère Picasso (1955) de Henri-Georges Clouzot. L’extrait montré est une séquence où Picasso peint sur papier translucide. La caméra est fixée derrière ce papier, la peinture semblant se faire d’elle-même (procédé d’ailleurs inventé en 1948 par Paul Haesaerts pour son film Visite à Picasso).
Etrange impression pour le spectateur de n’assister ici, ni à la projection d’un film, ni à l’exposition des dessins.
Où va l’œil en face de ce dispositif? Quelle hiérarchie donne-t-il quasi-automatiquement à ce qui est présenté? C’est l’écran qui capte mon regard, qui le phagocyte, par le simple fait du mouvement de l’image et malgré que le film n’y soit que pâlement reproduit. Ce sont les authentiques dessins qui lui sont soumis.
Il me semble que c’est alors double peine pour ce pauvre Picasso (qui doit déjà, d’où il est, subir des milliers de véhicules à son nom) : non seulement ses dessins sont impossibles à fixer, à voir, mais encore le long-métrage en couleur qu’il a fait avec Clouzot (avec quelle attention et quelle malice) est réduit à un extrait et à un format minuscules.
Ces dessins, même œuvres mineures de Picasso, s’effacent autour d’un film, œuvre majeure de Clouzot, qui lui-même s’efface par le fait d’être réduit à une simple citation. Nous avons ainsi tout à perdre à cette confrontation.

Cette exposition du cinéma pose un certain nombre de problèmes, elle n’est pas isolée et se répand dans la plupart des grands musées.
La citation du cinéma y est de plus en plus présente (comme la co-habitation cinéma/peinture a pu l’être de manière très bizarre il y a quelques années à la Cinémathèque Française avec l’exposition Renoir père et fils). La tentative de rapprochement par l’exposition me paraît toujours douteuse, incomplète, oublieuse.
Que veut-on faire dire au cinéma ? Pris par extraits, par fragments, indifférencié dans ses époques, ses multiples usages, ses « genres », il apparaît être une bouillie visuelle et sonore, un fond plastique et temporel sur lequel s’amplifient, se justifient presque les œuvres exposées. L’œuvre ne se suffit plus à elle-même, il faut la placer (sous prétexte de pédagogie ?) dans un bain de médiation composé d’autres traces et dont le cinéma, par son statut à la fois populaire et artistique, par son rayonnement, est la première victime.

On devrait dire « les cinémas » et ne pas oublier, avec André Malraux, que c’est aussi une industrie. L’élévation d’un film au statut d’œuvre ne va pas de soi. Cela dépend notamment de ce que le spectateur y place d’ « artisticité », en regard d’autres fonctions (documentaire).
Dans tous les cas le film n’est film que sous certaines conditions d’intégralité (de format, de temps, de projection), et cela sans même aborder la question d’un pureté ou d’une impureté du cinéma.
La notion d’œuvre, au cinéma, est ambiguë, embarrassante. Celle de chef d’œuvre encore plus. L’unanimité et l’universalité qui semblent devenir des critères pour juger de cela ne fabriquent que des produits de box-office, même pour des films anciens recyclés et devenus « cultes » pour l’occasion, accompagnés de produits dérivés.
Or l’expérience personnelle du spectateur est déterminante. Elle échappe à toute prévision. Le spectateur est au travail, plus ou moins, face au film qui ne s’adresse qu’à lui, dans sa longueur, sa vitesse, sa lenteur. Chaque seconde est une expérience de passion ou d’ennui, d’indifférence, d’exaltation ou de colère. Dans tout film passe pour lui, de manière personnelle, une palette de sentiments, de certitudes ou de questions. Aucun film n’offre, dans sa durée, une tension ou un intérêt constants.

Mais peut-être faut-il réfléchir autrement : le statut du film, exposé au musée ou dans un centre d’art, n’est pas d’être réellement exposé. Le statut du cinéma y est plutôt d’ordre décoratif. Il devient un ornement mental, c’est-à-dire qu’aujourd’hui l’extrait peut suffire à représenter le tout.
Nulle besoin, d’ailleurs, d’afficher le modèle authentique, c’est-à-dire le film lui-même. Il suffit qu’il soit à portée du spectateur, dans sa sphère mentale, dans sa mémoire virtuelle et il l’est : téléchargeable à l’infini.

Paradoxe dans le lieu de rencontre avec les œuvres d’art : l’image du cinéma véhiculée n’est qu’un faux souvenir, une construction partagée .
Est-ce une illusion de la connaissance ? Nous croyons connaître ce que nous n’avons pas vu, senti, éprouvé, car nous nous trouvons au centre d’une composition semblant personnelle mais en réalité partagée, même hyper-partagée, média-partagée.
Le monde finira-t-il par ressembler aux images que nous en avons fait ?
Il sera sécurisant d’avoir pour nous la certitude d’une limpidité et d’une connaissance du monde alors que nous ne serons jamais aussi proches du chaos.
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Est-ce vraiment Une visite au Louvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub?

19:06 Publié dans cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, musée, metz