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27/10/2010

Sirènes

Sur la façade nord de la cathédrale de Metz se trouve un bas-relief du XIIIème siècle délicatement sculpté de draperies, de motifs décoratifs et floraux contenant les représentations d’un bestiaire médiéval : dragons, griffons, animaux hybrides, sirènes, personnages grotesques.
Parmi elles, une sirène à double queue attend.

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Figure qu’on retrouve aussi aux Musées de la Cour d’Or , peinte sur les planches du plafond de l’hôtel du Voué, maison patricienne du XIIIème siècle.
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De face, avec un léger sourire, que nous cache-t-elle, cette sirène de la cathédrale qui semble à la fois en représentation (altière, tranquille) et dans une provocation (sa présence en ce lieu, offerte à la vue de tous) ?
Apparemment innocente certes, charmeuse figure d’un imaginaire aujourd’hui disparu, elle est la double tentation (sexuelle et intellectuelle), la manifestation d’une assez discrète injonction qui n’est pas morale, mais somme toute assez pratique. Elle semble dire : toi qui passes par là, pour peu que tu me voies, méfie-toi de toi-même, de tes certitudes, réfléchis.
Comme toute sirène, c’est une vision. Persistante. Elle ne raconte pas d’histoire. Elle se propose, ne demande pas à la suivre, s’ennuie. C’est une figure philosophique.
Elle mériterait mieux que sa petite apparition, depuis sept siècles, dans ce lieu d’histoire (ce qui est déjà miraculeux). Elle mériterait d’être plus connue, de remplacer ce lassant Graoully (le dragon de Metz) dont on parle tant : elle est beaucoup plus fine, a beaucoup plus de sens (dans tous les sens).
Je suggère qu’elle devienne l’emblème de la ville.

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Nouvelle gare de Metz, 1905 : l’empereur Guillaume II veut affirmer la présence impériale dans la ville annexée (présence militaire et religieuse). Dans la fastueuse partie de la gare qui lui est réservée (le Pavillon de l’Empereur), lourdement ornementée, que trouve-t-on ? Sur les chapiteaux des colonnes du vestibule, une figure qui rappelle étrangement notre petite sirène, attributs sexués en moins (les queues). Le geste y est, mais les mains tiennent des rubans. La jeune femme est habillée pour un bal, couronne, perles, motifs floraux.
Comment ne pas faire ce lien avec la sirène de la cathédrale, dans ce lieu néo-roman aux nombreux rappels médiévaux (qui justifient, aux yeux des Prussiens, l’appartenance de la ville à l’Empire) ?

Les sirènes

Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui
Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?
Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées
Et mes vaisseaux chantants se nomment les années


(Guillaume Apollinaire – Le Bestiaire)

21:17 Publié dans vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sirène, metz

25/09/2010

le cinéma exposé: une cinéphilie homéopathique

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Il y a, exposée au Centre Pompidou-Metz (par ailleurs très belle exposition Chefs d’œuvre ?), une série de dessins de Picasso (le peintre et son modèle) qui encadre un petit écran de même format où passe un extrait muet du film Le Mystère Picasso (1955) de Henri-Georges Clouzot. L’extrait montré est une séquence où Picasso peint sur papier translucide. La caméra est fixée derrière ce papier, la peinture semblant se faire d’elle-même (procédé d’ailleurs inventé en 1948 par Paul Haesaerts pour son film Visite à Picasso).
Etrange impression pour le spectateur de n’assister ici, ni à la projection d’un film, ni à l’exposition des dessins.
Où va l’œil en face de ce dispositif? Quelle hiérarchie donne-t-il quasi-automatiquement à ce qui est présenté? C’est l’écran qui capte mon regard, qui le phagocyte, par le simple fait du mouvement de l’image et malgré que le film n’y soit que pâlement reproduit. Ce sont les authentiques dessins qui lui sont soumis.
Il me semble que c’est alors double peine pour ce pauvre Picasso (qui doit déjà, d’où il est, subir des milliers de véhicules à son nom) : non seulement ses dessins sont impossibles à fixer, à voir, mais encore le long-métrage en couleur qu’il a fait avec Clouzot (avec quelle attention et quelle malice) est réduit à un extrait et à un format minuscules.
Ces dessins, même œuvres mineures de Picasso, s’effacent autour d’un film, œuvre majeure de Clouzot, qui lui-même s’efface par le fait d’être réduit à une simple citation. Nous avons ainsi tout à perdre à cette confrontation.

Cette exposition du cinéma pose un certain nombre de problèmes, elle n’est pas isolée et se répand dans la plupart des grands musées.
La citation du cinéma y est de plus en plus présente (comme la co-habitation cinéma/peinture a pu l’être de manière très bizarre il y a quelques années à la Cinémathèque Française avec l’exposition Renoir père et fils). La tentative de rapprochement par l’exposition me paraît toujours douteuse, incomplète, oublieuse.
Que veut-on faire dire au cinéma ? Pris par extraits, par fragments, indifférencié dans ses époques, ses multiples usages, ses « genres », il apparaît être une bouillie visuelle et sonore, un fond plastique et temporel sur lequel s’amplifient, se justifient presque les œuvres exposées. L’œuvre ne se suffit plus à elle-même, il faut la placer (sous prétexte de pédagogie ?) dans un bain de médiation composé d’autres traces et dont le cinéma, par son statut à la fois populaire et artistique, par son rayonnement, est la première victime.

On devrait dire « les cinémas » et ne pas oublier, avec André Malraux, que c’est aussi une industrie. L’élévation d’un film au statut d’œuvre ne va pas de soi. Cela dépend notamment de ce que le spectateur y place d’ « artisticité », en regard d’autres fonctions (documentaire).
Dans tous les cas le film n’est film que sous certaines conditions d’intégralité (de format, de temps, de projection), et cela sans même aborder la question d’un pureté ou d’une impureté du cinéma.
La notion d’œuvre, au cinéma, est ambiguë, embarrassante. Celle de chef d’œuvre encore plus. L’unanimité et l’universalité qui semblent devenir des critères pour juger de cela ne fabriquent que des produits de box-office, même pour des films anciens recyclés et devenus « cultes » pour l’occasion, accompagnés de produits dérivés.
Or l’expérience personnelle du spectateur est déterminante. Elle échappe à toute prévision. Le spectateur est au travail, plus ou moins, face au film qui ne s’adresse qu’à lui, dans sa longueur, sa vitesse, sa lenteur. Chaque seconde est une expérience de passion ou d’ennui, d’indifférence, d’exaltation ou de colère. Dans tout film passe pour lui, de manière personnelle, une palette de sentiments, de certitudes ou de questions. Aucun film n’offre, dans sa durée, une tension ou un intérêt constants.

Mais peut-être faut-il réfléchir autrement : le statut du film, exposé au musée ou dans un centre d’art, n’est pas d’être réellement exposé. Le statut du cinéma y est plutôt d’ordre décoratif. Il devient un ornement mental, c’est-à-dire qu’aujourd’hui l’extrait peut suffire à représenter le tout.
Nulle besoin, d’ailleurs, d’afficher le modèle authentique, c’est-à-dire le film lui-même. Il suffit qu’il soit à portée du spectateur, dans sa sphère mentale, dans sa mémoire virtuelle et il l’est : téléchargeable à l’infini.

Paradoxe dans le lieu de rencontre avec les œuvres d’art : l’image du cinéma véhiculée n’est qu’un faux souvenir, une construction partagée .
Est-ce une illusion de la connaissance ? Nous croyons connaître ce que nous n’avons pas vu, senti, éprouvé, car nous nous trouvons au centre d’une composition semblant personnelle mais en réalité partagée, même hyper-partagée, média-partagée.
Le monde finira-t-il par ressembler aux images que nous en avons fait ?
Il sera sécurisant d’avoir pour nous la certitude d’une limpidité et d’une connaissance du monde alors que nous ne serons jamais aussi proches du chaos.
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Est-ce vraiment Une visite au Louvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub?

19:06 Publié dans cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, musée, metz