21/07/2011
Impressions de Berlin
Ami Français, quitte tes certitudes en arrivant à Berlin.
La ville n’est pas simple à appréhender : vaste territoire à la fois centripète (chercher le cœur –les cœurs- qui furent les lieux tout brûlants de l’histoire des XIXème et XXème siècle) et centrifuge (territoire éclaté, « partitionné » de lieux vivants et expérimentaux).
Nulle part un sentiment d’étouffement : de l’espace, un territoire en mouvement, apaisé, en reconstruction perpétuelle de son architecture et de son rapport au passé, son rapport à l’Histoire qui est ici plus forte qu’ailleurs (je parle de l’histoire vécue, pas de la culture historique). Les Berlinois se réinventent. Ils ont cet avantage sur nous de s’être débarrassé de vieux sentiments nationaux qui finissent par nous étouffer (craindre la perte de grandeur ?).
J’avais quelques points de repères historiques (la ville prussienne, la ville bouillonnante de culture des années vingt, la ville nazie, la ville détruite, la ville du Mur). Des films : Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann (1927), Allemagne année zéro de Rosselini (1947) , Berlin Alexanderplatz version Fassbinder (1980)… qui m’ont fait percevoir l’importance de cette ville, historiquement et culturellement.
Mais rien finalement n’est aussi simple que je pouvais l’imaginer : on ne reconnaît pas Berlin d’après des images toutes faites, des clichés. Il est nécessaire d’oublier un peu pour voir vraiment. Cette ville est au travail et elle est surprenante. Comme Rome a su, à un certain moment, se reconstruire sur les ruines de son passé (la Piazza Navona revue par Le Bernin au 17ème siècle sur les ruines du cirque de Domitien), Berlin opère aujourd’hui ses transformations, digérant son passé pour en faire une ville nouvelle. Loin des utopies de ville idéale (Hitler souhaitant la reconstruire en la renommant Germania comme Mussolini avait ébauché la ville fasciste avec le quartier de l’EUR à Rome).
La reconstruction est ici une prise en compte intelligente du passé, pas une réinvention ou une injonction. Rien n’est occulté, c’est une avancée en finesse, démocratique et culturelle (démocratique parce qu’elle permet la variété, elle ne répond pas à un plan unique, elle révèle une multiplicité d’orientations, de fonctions, elle fait cohabiter des œuvres modestes avec de véritables monuments).
Place à l’audace, à la transparence, à l’espace. Sur Pariserplatz, l’immeuble de la banque DZ est signé Franck Gehry. La gare centrale, la Hauptbahnhof, est due à l’architecte Meinhard von Gerkan. Sur Friedrichstrasse, les Galeries Lafayette sont l’œuvre de Jean Nouvel.
Le Jüdisches Museum à l’incroyable architecture intérieure est l’œuvre de Daniel Libeskind.
C’est ce bâtiment qui m’a le plus impressionné : architecture « mentale » ouverte sur l’intériorité, au plan labyrinthique, en déséquilibre constant (jusqu’au sol en pente du premier niveau), aux parties presque carcérales. On pénètre, par une mise en scène incontournable, dans l’histoire et le destin du peuple juif. Les espaces clos, les longs couloirs, les salles (la tour de l’holocauste), jardin (le jardin de l’exil) faisant ressentir au visiteur des sentiments qui deviennent alors universels : l’exil, le monde carcéral, l’extermination. L’architecture seule crée ce sens, à peine quelques vitrines dans les couloirs de ce premier niveau présentent-elles des objets, des photos, des documents de familles victimes de l’holocauste (je ne parlerai pas de l’exposition permanente des second et troisième niveaux qui, elle, étouffe d’informations).
Alte Nationalgalerie. Achevée en 1876.
Un monument culturel pour la puissance du nouveau Reich et l’unité du pays. De la « ville prussienne » voyons ce tableau de Anton Von Werner, Le cantonnement à côté de Paris le 24 octobre 1870 (tableau de1894). Exercice raté de glorification. Les vainqueurs sont aux portes de Paris. Quelques officiers et soldats occupent une demeure bourgeoise : le repos des guerriers aux bottes boueuses consiste à chanter dans le salon, tandis qu’un soldat éparpille des vieux journaux et du bois sur le tapis afin d’allumer un feu de cheminée.
Ma grand-mère parlait encore avec crainte des « Uhlans », cavaliers du nord qui servaient dans l’armée prussienne. Ils avaient la mauvaise réputation de saccager les maisons lorraines lors de la guerre de 1870, et jusqu’en 1918.
Ce tableau dessert bien sûr ses commanditaires : on y voit ce qu’aucun bourgeois ne peut tolérer, d’un côté ou de l’autre du Rhin. Est-ce involontaire ?
A la même époque d’autres peintres allemands faisaient éclater l’académisme comme Adolf Menzel dont je retiens Der Fuss des Künstler (Le pied de l’artiste, 1876) parmi des œuvres très diverses et Max Klinger dont l’étrange Spaziergänger (promeneur, 1878) semble tomber dans un guet-apens, contre ce mur surréaliste et dans un temps arrêté.
Comme la ville de Berlin, rien n’est simple, l’art échappe aux intentions et aux prescriptions. Cela fuit, s’enfuit, inclassable.
La ville n’est pas simple à appréhender : vaste territoire à la fois centripète (chercher le cœur –les cœurs- qui furent les lieux tout brûlants de l’histoire des XIXème et XXème siècle) et centrifuge (territoire éclaté, « partitionné » de lieux vivants et expérimentaux).
Nulle part un sentiment d’étouffement : de l’espace, un territoire en mouvement, apaisé, en reconstruction perpétuelle de son architecture et de son rapport au passé, son rapport à l’Histoire qui est ici plus forte qu’ailleurs (je parle de l’histoire vécue, pas de la culture historique). Les Berlinois se réinventent. Ils ont cet avantage sur nous de s’être débarrassé de vieux sentiments nationaux qui finissent par nous étouffer (craindre la perte de grandeur ?).
J’avais quelques points de repères historiques (la ville prussienne, la ville bouillonnante de culture des années vingt, la ville nazie, la ville détruite, la ville du Mur). Des films : Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann (1927), Allemagne année zéro de Rosselini (1947) , Berlin Alexanderplatz version Fassbinder (1980)… qui m’ont fait percevoir l’importance de cette ville, historiquement et culturellement.
Mais rien finalement n’est aussi simple que je pouvais l’imaginer : on ne reconnaît pas Berlin d’après des images toutes faites, des clichés. Il est nécessaire d’oublier un peu pour voir vraiment. Cette ville est au travail et elle est surprenante. Comme Rome a su, à un certain moment, se reconstruire sur les ruines de son passé (la Piazza Navona revue par Le Bernin au 17ème siècle sur les ruines du cirque de Domitien), Berlin opère aujourd’hui ses transformations, digérant son passé pour en faire une ville nouvelle. Loin des utopies de ville idéale (Hitler souhaitant la reconstruire en la renommant Germania comme Mussolini avait ébauché la ville fasciste avec le quartier de l’EUR à Rome).
La reconstruction est ici une prise en compte intelligente du passé, pas une réinvention ou une injonction. Rien n’est occulté, c’est une avancée en finesse, démocratique et culturelle (démocratique parce qu’elle permet la variété, elle ne répond pas à un plan unique, elle révèle une multiplicité d’orientations, de fonctions, elle fait cohabiter des œuvres modestes avec de véritables monuments).
Place à l’audace, à la transparence, à l’espace. Sur Pariserplatz, l’immeuble de la banque DZ est signé Franck Gehry. La gare centrale, la Hauptbahnhof, est due à l’architecte Meinhard von Gerkan. Sur Friedrichstrasse, les Galeries Lafayette sont l’œuvre de Jean Nouvel.
Le Jüdisches Museum à l’incroyable architecture intérieure est l’œuvre de Daniel Libeskind.
C’est ce bâtiment qui m’a le plus impressionné : architecture « mentale » ouverte sur l’intériorité, au plan labyrinthique, en déséquilibre constant (jusqu’au sol en pente du premier niveau), aux parties presque carcérales. On pénètre, par une mise en scène incontournable, dans l’histoire et le destin du peuple juif. Les espaces clos, les longs couloirs, les salles (la tour de l’holocauste), jardin (le jardin de l’exil) faisant ressentir au visiteur des sentiments qui deviennent alors universels : l’exil, le monde carcéral, l’extermination. L’architecture seule crée ce sens, à peine quelques vitrines dans les couloirs de ce premier niveau présentent-elles des objets, des photos, des documents de familles victimes de l’holocauste (je ne parlerai pas de l’exposition permanente des second et troisième niveaux qui, elle, étouffe d’informations).
Alte Nationalgalerie. Achevée en 1876.
Un monument culturel pour la puissance du nouveau Reich et l’unité du pays. De la « ville prussienne » voyons ce tableau de Anton Von Werner, Le cantonnement à côté de Paris le 24 octobre 1870 (tableau de1894). Exercice raté de glorification. Les vainqueurs sont aux portes de Paris. Quelques officiers et soldats occupent une demeure bourgeoise : le repos des guerriers aux bottes boueuses consiste à chanter dans le salon, tandis qu’un soldat éparpille des vieux journaux et du bois sur le tapis afin d’allumer un feu de cheminée.
Ma grand-mère parlait encore avec crainte des « Uhlans », cavaliers du nord qui servaient dans l’armée prussienne. Ils avaient la mauvaise réputation de saccager les maisons lorraines lors de la guerre de 1870, et jusqu’en 1918.
Ce tableau dessert bien sûr ses commanditaires : on y voit ce qu’aucun bourgeois ne peut tolérer, d’un côté ou de l’autre du Rhin. Est-ce involontaire ?
A la même époque d’autres peintres allemands faisaient éclater l’académisme comme Adolf Menzel dont je retiens Der Fuss des Künstler (Le pied de l’artiste, 1876) parmi des œuvres très diverses et Max Klinger dont l’étrange Spaziergänger (promeneur, 1878) semble tomber dans un guet-apens, contre ce mur surréaliste et dans un temps arrêté.
Comme la ville de Berlin, rien n’est simple, l’art échappe aux intentions et aux prescriptions. Cela fuit, s’enfuit, inclassable.
01:03 Publié dans rebonds | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : berlin