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15/10/2012

L'irreproductible

Il est toujours assez casse-gueule d’essayer de parler de l’art contemporain –au moins le décrire, peut-être se situer par rapport à lui-. Les enfants n’ont pas ce problème, ils voient cela comme quelque chose de naturel. Essayer de garder son esprit d’enfance m’est impossible à ce sujet. Je suis conquis et irrité, charmé et en colère, je dois prendre parti.

Il semble qu’un des points de « faille » de l’art contemporain soit la question de la position du spectateur. Moins dans l’idée d’une démocratisation de l’art (Nuits Blanches, vastes opérations éphémères de séduction à destination comptable) mais plutôt, au fond, pour une question de survie de ce que l’art produit face aux reproductions auxquelles il est soumis, au même titre que tout objet auquel on porte intérêt et dont l’image se voit aujourd’hui multipliée à l’infini : images immédiates, échangées, sans qualité, gratuites et sans intentions. Miroirs à l’infini, mises en abyme absurdes. L’art contemporain est le reflet du contemporain et produit en même temps ce qui le détruit, c’est à dire l’enchaînement, la mise en réseau, l’événement, la multiplication (au même titre que l’économie ?). La vacuité.
Chaque spectateur, aujourd’hui, devient prescripteur, producteur d’images, agent d’un système qui, de manière exponentielle, noie, fausse, rend confus son rapport à l’art. L’œuvre ne devient pas plus réelle que ses reproductions. Perte d’aura, étrange indifférence à l’authenticité, étrange éloignement du réel en art. A moins d’accepter de renoncer à une identification, à une Histoire de l’Art qui se poursuivrait, à une identité artistique qui se distinguerait de la récupération immédiate opérée dans les médias, internet, réseaux sociaux, à moins de ce renoncement qui ferait glisser notre avenir vers quelque chose d’universel, sans esprit critique, sans langue et sans mémoire par trop d’accumulation et sans (fondamentalement) de politique, peut-être sans culture et –in fine-sans art… La question de l’art ne devient plus que la question de la position du spectateur.

La peinture est tombée en disgrâce (comme persévérance de l’intime, de la concentration, de la profondeur et de l’histoire, de ce qu’il y a encore de littéraire en art). La peinture provoque chez son spectateur une expérience solitaire, une résurgence en lui. Elle résiste au dispositif.

L’art contemporain laisse de moins en moins prise à des sentiments personnels. S’il est ressenti, il laisse sans voix car il suscite non plus la contemplation mais l’expectative. Il est exogène, reçu de l’extérieur. Il est le dispositif.

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En rendant irreproductibles –au sens propre- les œuvres photographiques exposées au Centre Pompidou-Metz par le FRAC Lorraine (exposition FRAC FOREVER jusqu’au 25 février 2013), les concepteurs de l’exposition posent cette question de l’accès à l’œuvre et de la position du spectateur. La galerie est plongée dans le noir total. Seules les lampes prêtées aux spectateurs à l’entrée leur permettent de percevoir les œuvres, encore qu’incomplètement car ces petites lampes de poche produisent une lumière très faible.
Irreproductibles en effet ces œuvres qui sont des tirages photographiques, c’est à dire par définition des re-productions (imprimés de lumière sur une surface sensible). Irreproductibles par le simple fait qu’il faut les révéler à nouveau et chaque fois pour les percevoir. Le spectateur construit lui-même sa vision à partir des pauvres moyens qui lui sont alloués, il est dans l’impossibilité de reproduire son geste à l’identique, d’inclure l’œuvre dans un imagier, simplement –et c’est de plus en plus courant- de prendre une photo de l’œuvre qui redoublera pour lui cet instant.
Dans un premier temps l’effet peut être amusant. Des stratégies de collaboration s’installent entre visiteurs voisins qui unissent leurs halos de lumière pour mieux voir certaines œuvres.
Le noir total dans lequel est plongée la galerie provoque chez le visiteur une expérience sensorielle. Une prudence, aussi. Il rase les murs, n’occupe pas l’espace central qui reste vide. Etrange parcours de fourmi.
Ce qui le guide (ou semble le guider) dans cette collection –cabinet de curiosité où se côtoient des photographies rangées par thèmes (Nuits et songes, Nuées et nuages, Wonder woman, Extension du domaine de l’intime, Futur antérieur, arbre à vie)-, ce sont des mots et phrases inscrits aux murs, conversation entre Béatrice Josse (directrice du Frac Lorraine) et l’artiste Marco Godinho
Qu’en retiendra-t-on sinon que ces mots accompagnent assez librement les photographies exposées ?
Ce que je retiens de cette exposition est moins un ensemble d’œuvres (pardonnez-moi) que le dispositif dans lequel elles sont inscrites. Ce dispositif soumet tout. Il est ludique mais assez radical pour, au fond, dire : ce qui est là doit être révélé et seul le spectateur le révèle, à titre personnel, à sa manière. En empêchant la vision reproductible, en contrant cette habitude de redoubler les images, de les échanger –tout un chacun emporte avec lui un appareil qui le permet-, les concepteurs énoncent, peut-être pas explicitement, que l’œuvre d’art, aujourd’hui, est à ce point en danger que pour la voir il faut d’abord l’effacer, l’éloigner du visible.
Et que le dispositif fait art.
Et que le spectateur n’est plus maître de rien, ni dans une autonomie dans laquelle il irait reproduire l’œuvre plutôt que l’intégrer, ni au fond dans la contrainte liée au dispositif qui l’infantiliserait, peut-être, ça n’est pas sûr, mais c’est possible, démocratisation de l’art oblige.

Je ne suis pas indifférent à l’art contemporain. J’aime et je déteste, je regrette qu’il n’y ait plus de débat. Je n’entends plus de débat.
Comme la critique cinématographique, la critique d’art a disparu ?