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29/03/2012

Un peu de comptabilité

Avez-vous remarqué combien les chiffres, les nombres, les estimations, les évaluations nous envahissent ? Tout n’est plus que mesure, comme si le monde devait être clos, déterminé par le calcul. Plus la place aux poètes.
De l’école –que dis-je, de la maternité- tout est appareillé : intra-utero, l’enfant est déjà né, le corps déjà ausculté, mis en images, absorbé par la machinerie, scotché dans l’album de famille.
A l’école les savoirs, les compétences sont évaluées et rendues en comptes, graphiques, statistiques de circonscription, d’académie, pour le bien commun, l’édification commune et la comparaison aux niveaux national et international en vue d’un classement suprême devant lequel nous devrions nous plier. Ouf ! Que d’efforts !
Tout est calcul : le mot, l’image, la parole sont numérisables.
La pensée… quelle pensée ?
Tout est en place. La science triomphe. La machine est la seule valeur sûre, tant les hommes laissés à leurs incohérences, leurs irrégularités, leurs turpitudes ne présentent aucune perspective d’avenir fiable.
Les journaux, la télévision, les informations, tout contribue à cette notation généralisée, comme si l’idée ou la conviction étaient devenues choses indésirables, comme si tout devait subir une mise en conformité.
Et les états sont notés (tiens, depuis quelques mois on n’en parle plus… y a-t-il une trêve électorale?). Le citoyen, ainsi, risque de se tromper, de devenir un mauvais citoyen mal noté si, je ne sais pas, il vote mal (vote, tout simplement ?), véhicule des idées personnelles…

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Et les sondages… à quoi ça sert ? A donner une idée de l’opinion publique ou orienter, manipuler les électeurs ? Quelle valeur ont les sondages ? Les élections présidentielles approchant, il devient insupportable de suivre ces courbes répétées jour après jour, comme l’on suit un championnat de football ou comme on lit les publicités dans nos boîtes à lettres, à l’affût de la bonne affaire. Les sondages sont un appel lancinant à l’immobilité, ou à l’ inconstance, ils sont suggestion, hypnose.
Nous ne sommes pas concernés. D’ailleurs, vraiment, nous ne sommes jamais sondés.

Un excès de civilisation
Le toujours intéressant Gérard Oberlé signe un billet (dans le numéro de mars de Lire) intitulé Ne faites pas l’amour, faites la guerre. Il y ressort un livre et un auteur (justement) oublié, Louis de Sainte-Marie (de son vrai nom Louis-Marie Rapine), qui commit un ouvrage justifiant l’usage de la guerre à des fins de morale religieuse et de salubrité publique (en 1807, Essais historiques sur l’effusion continuelle du sang humain par la guerre). Ce Rapine signe en effet : « Lorsque l’âme a perdu son ressort par la mollesse, l’incrédulité et les vices gangréneux qui suivent l’excès de civilisation, elle ne peut être retrempée que dans le sang ! »
Il leur faudrait une bonne guerre, comme disait le grand-père de Gérard Oberlé, lorrain besogneux, devant ces fainéants des générations suivantes qui profitaient de l’opulence du temps de paix sans la mériter, sans même avoir de reconnaissance pour leurs aînés.
Les générations passent : c’est toujours mieux avant, après nous le déluge, la rengaine est éternelle. Pas toujours partagée cependant -j’en connais qui prônent le contraire, qui encouragent et font confiance aux générations à venir-
Est-ce que la civilisation peut se trouver en excès ? Toujours cette idée de décadence, de chute, de fin des temps, qui parcourt l’échine de notre époque : la fin du monde annoncée depuis l’entrée de l’occident dans le machinisme (la machine viendra supplanter –détruire- l’homme, depuis Zola, Verne en littérature, depuis Lang au cinéma –Métropolis-).
L’idée n’est donc pas neuve. Ce que la religion et les pouvoirs ont véhiculé pendant des siècles (et peuvent encore véhiculer), la peur et la destruction pour des raisons morales, violence sourde et aveugle qui a maintenu ce qu’on appelait dans nos pays les « mortalités » (famines, guerres, épidémies) - maintenant le même niveau de population pendant des siècles- ce que la religion et les pouvoirs ont maintenu, ce sont ensuite les pouvoirs excessifs, les dictatures, les technologies responsables de destructions de masse qui les ont provoquées (guerres mondiales), alors même que les populations croissaient, que c’en était fini, semblait-il, des mortalités, que se dessinaient des solutions pour un pouvoir plus égalitaire, que la République pointait son nez.
Nous sommes aujourd’hui dans un présent qui file à toute allure, à l’excès. Le prophètes y sont naturellement nombreux qui prédisent le pire. Les règles sont instables. La chute est proche, entend-on au plus haut niveau, si l’on sort du chemin tracé. C’est à dire à nouveau : « après moi le déluge ».
Chiche ? Faîtes l’amour, pas la guerre !

Post scriptum (non coïtum) : allez voir Les adieux à la reine, le film de Benoît jacquot. C’est une nouvelle fois tout juste, bien joué, jamais insistant. Ces trois jours du début de la Révolution Française joués ainsi disent tout de ce que nous pouvons aujourd’hui ressentir de cette période. Le choix du point de vue (la cour en déliquescence vue par une très jeune femme) et le traitement du film est une merveille d’observation, de créativité et de délicatesse.