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04/09/2010

La fête de la mirabelle à Metz

J’ai longtemps ignoré ou moqué la fête de la mirabelle, manifestation folklorique messine de fin d’été, avec ses chars fleuris et sa reine, mirabelle incarnée le plus souvent par une bonne Lorraine blonde, manifestation bien pensante, patriotique et politiquement bien correcte.
Le sabre, le commerce et le goupillon réunis en cette bonne vieille ville de Metz.
Nous appelions l’élue au sourire ravi la reine des quetsches, par opposition au fruit jaune, avec sa peau claire et sa coiffure impeccable et en allusion à un niveau intellectuel supposé assez bas, voire pour évoquer une autre partie de son anatomie.
Pendant près de soixante ans les reines, les défilés, les groupes folkloriques et les chars se sont succédés pour le ravissement de la population.
Le temps passant, rien ne semblait faire évoluer le fête qui prenait de l’âge, malgré des tentatives de rajeunissement ponctuelles (ah ces podiums où des chanteurs à la mode se produisaient en play back dans les années soixante-dix !).

Voici le défilé de 1949, proposé sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/AFE02014729/la-fete-de-la-mirabelle.fr.html


Puis, tardivement, j’ai lu les textes Philippe de Vigneulles, chroniqueur de la fin du 15ème et début du 16ème siècles, témoignage rare sur la fin de la république messine, écrite dans cette langue romane d’autre syntaxe, si directe et évocatrice :

En cellui temps c’on dit le gray temps, se firent plusieurs bonne joieusetés en Mets. Entre lesquelles fut mis sus ung chariot pour aller permi la ville, lequelle chariot estoit grans et gros, et bien triumphanment fait, et covert par dessus en manier d’une woulte ; sur laquelle woulte, et endroit du milieu, y avoit ung groz cuer blan et noir, sinifiant les armes de la cité ; et au quaitre cornée d’icelluy y avoit quaitre tornelles, aussy blan et noir ; et estoit paireillement tout le chariot blan et noir, et l’avoient les seigneurs maistre des murs de la cité ainssy fait faire pour le mener au jour du gray dimenche permi ycelle cité, et pour juer aulcunne chose moralle à l’onneurs de la dicte cité.


Ainsi, pour ne pas rester ignorant ni moquer sans savoir, les défilés de chars décorés ou fleuris ne datent pas d’hier, ni ce blason blanc et noir, décor minimaliste en guise d’armes de la cité. Bien qu’il ne fût pas question d’élection d’une reine mais plutôt d’une manifestation des pouvoirs politique et religieux, comprenant défilés des métiers et corporations :

Et premier, devés entendre que tous les maistre ouvriers, en quelque art mécanicque que se fût, qui avoient gaige de la cité, estoient dedans, devant ou après cellui chariot, puer juer le personnage à eulx donnés. Et, pour le premiers, estoit au millieu du dit chariot, bien triumphanment essis en une haulte chayre, ung grant ouvriez, nommés maistre Jehan, le tailleur d’imaige, demorant alors à la Pier Hardie. (…) Et tenoit grant gravités : car il représentoit en son personnaige la cité de Mets.


Tailleur d’images, autrement dit sculpteur, maître Jehan représente la ville, à ce moment précis, aux yeux de tous. Autrement dit, c’est lui qui fait les images. Il participe à l’élaboration du grand imagier d’une ville qui vit la fin de sa relative indépendance (près de cinq siècles d’une république patricienne travaillant à sa liberté entre empire germanique et royaume de France).
Aujourd’hui notre imagier, ici comme ailleurs, se construit plutôt dans les médias et au-delà de toute référence locale.

Metz est une ville étrange : ballottée au cours d’une histoire chaotique mais gardant ses particularismes, en proie aux différentes invasions mais en tirant sa richesse, en déficit d’image mais multipliant ses facettes. Du point de vue architectural, son histoire est extraordinairement lisible. Elle garde jalousement en elle une identité qui ne se soumet pas, elle se tait plutôt que se révolter, cache ses blessures.

Son rapport à la Lorraine est historiquement ambigu (le Duc de Lorraine fut longtemps son meilleur ennemi, elle fut annexée deux fois par l’Allemagne). Aussi à défaut de territoire, elle s’est cherché un terroir auquel se rattacher : la mirabelle est devenue symbole d’une certaine unité lorraine.

Voici la fête de 1967, toujours sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/S...


A travers la fête de la mirabelle il y a quelque chose qui resurgit, qui se révèle.
Pas dans la manifestation folklorique ou culturelle qu’on peut moquer et dont l’assise semble si fragilement prendre référence au passé.
Quelque chose qui m’a semblé lisible cette année où la fête s’inscrivait sous le signe de la musique bretonne et celtique.
La Bretagne n’a pas, je crois, d’équivalent en France de cohérence culturelle et d’ancrage populaire dans des racines et des traditions vivantes. Il suffit d’aller à n’importe quel fest noz de village pour voir une culture qui demeure et concerne toutes les générations ; une grande danse collective s’empare de chacun, pudiquement et avec ferveur.
Le concert celtique donné ce 28 août au parc de la Seille par Alan Stivell, Carlos Nunez et les bagads de Lann Bihoué et de Nantes a attiré foule et une ambiance peu commune, à l’étonnement même de ces artistes loin de leurs bases. Il faut dire que nous n’en sommes plus aux clichés de bretonneux régionalistes : c’est plutôt une musique de fusion, plus ouverte au monde et à des cultures différentes que la plupart des musiques actuelles.
L’impression ressentie alors, c’est qu’en face de cette identité culturelle forte et actuelle, cette musique jouée authentiquement (et avec virtuosité), surgit une réponse du public messin, proche de celle du public qui, au temps de Philippe de Vigneulles, suivait avec ferveur les défilés, cortèges et joyeusetés qui fondaient le lien social d’une communauté.