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06/02/2011

Arrêt sur image

Notre époque va vite. L’accélération du temps n’empêche pas le retour à la réalité, le terrain qui soudain explose, l’inattendu. La Tunisie, l’Egypte communiquant les désarrois de ceux qui sont les victimes réelles, éclairés par la communication universelle mais vivant un âge et un système qui ne sont pas en relation avec leurs aspirations. Légitimés à la vue de tous, oui, mais au prix d’un futur oubli, lorsque le spectacle aura lassé dans l’actualité où nous vivons tous en spectateurs ?
Quels remèdes à cela ? Les utopies disparues, les idéologies vacillantes ou trompeuses, que reste-t-il de l’avenir ? Vivre dignement, pouvoir espérer, c’est un retour juste à l’humain.
Mais qu’en est-il des tricheurs, des goinfres qui s’emparent du monde ? Dans ce cas ils se taisent. Prudence qui s’oppose aux corps perdus, aux dons de soi, aux cris qui effraient. Prudence et silence qui s’opposent par l’absence aux aspirations fondamentales et universelles des peuples à la justice.

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Douglas Gordon a créé en 1993 une œuvre vidéo nommée 24 Hour Psycho. Il s’agit de la projection muette et ralentie sur 24 heures du film d’Alfred Hitchcock Psychose (Psycho,1960).
Le film dilaté, son effet sur le spectateur, la destruction par le temps du fameux suspense hitchcockien qui déjà opérait des dilatations temporelles (la scène du meurtre sous la douche), tout cela est le point de départ du roman de Don DeLillo, Point Oméga (Actes Sud, 2010).
DeLillo capte, par élimination, par réduction de la matière romanesque, ce que le contemporain a de vertigineux, de sidéré, c’est-à-dire l’arrivée à ce point oméga où tout, à la fois, s’accélère et se fige. Arrêt sur image qui peut rappeler (dans un autre registre) la fin de 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, film-prophétie qui englobe toute l’histoire humaine passée et à venir en un seul mouvement.
Les personnages du roman de DeLillo tournent autour de cette diffraction du temps. Jim Finley est un jeune cinéaste qui veut réaliser un film-portrait du taciturne Richard Elster, universitaire à le retraite ayant travaillé pour le Pentagone à une certaine « loi de l’extinction » pendant la guerre d’Irak. Elster invite Finley en plein désert du sud des Etats-Unis, dans sa maison où ils sont rejoints par Jessie, la fille d’Elster . Celle-ci disparaît mystérieusement.
Tout est affaire de mesure : celle de l’espace, celle du temps, celles du mouvement et des relations humaines.
Extrait du début du livre :
« Le moindre mouvement de caméra provoquait un basculement profond de l’espace et du temps mais la caméra ne bougeait pas à cet instant-là. Anthony Perkins tourne la tête. C’était comme les nombres entiers. L’homme pouvait compter les gradations du mouvement de la tête d’Anthony Perkins. Anthony Perkins tourne la tête en cinq phases croissantes plutôt que dans un mouvement continu. C’était comme les briques d’un mur, qu’on peut dénombrer distinctement, pas comme le vol d’une flèche ou d’un oiseau. Là encore, ce n’était ni semblable à autre chose ni différent. La tête d’Anthony Perkins pivotant, interminablement, sur son long cou maigre.
Seule une intense observation ouvrait à une telle perception. »


Point Oméga serait une description de cet instant du monde où nous nous trouvons, employant une forme courte et l’énigme, mieux que l’accumulation des commentaires qui nous arrive chaque jour.