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09/11/2011

Fraternité

Troisième mot de la triade républicaine, il est celui qui divise (comment en faire une devise ?), celui qui ne peut pas être institutionnalisé ni écrit dans la loi comme un droit. Il est à la fin, peut-être, la condition de l’application des deux autres, celui qui les permet.

Si la fraternité relève d’un précepte moral, elle n’est pourtant pas une mièvre assertion: les partisans de la Terreur de 1792 se réclamaient de l’adage « sois mon frère ou je te tue ». Si c’est en 1848 que la devise de la République est officiellement adoptée, en 1793 on fait inscrire sur les murs de Paris «République une et indivisible : Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort. La fraternité est donc le pouvoir du citoyen, celui d’aimer passionnément (jusqu’à l’extrême ?) les vertus de la République dans laquelle il s’inscrit. La République n’est pas un acquis, elle s’obtient par la lutte (le 19ème siècle a été une lutte incessante pour son instauration). Les dérives dont elle a été l’objet, la violence qui l’a accompagnée, les idéologies qu’elle a fait naître, tout cela s’est amenuisé, semble-t-il.
En 2011 tout est loin, mémoire étrangement perdue dans le monde de l’individualisme. Nous circulons passifs dans une rue colorée bordée de vitrines lumineuses, tentations ! Fraternité devient notre bonne conscience lorsque survient sur nos écrans le tsunami, le séisme, la révolte ou la guerre, provocant à la fois repli sur soi (notre peur intériorisée, ménagère) et le don aux associations caritatives qui seront l’alibi de notre immobilité. C’est tout ? Sans doute, non. Derrière les façades se trouvent mille choses inquiétantes dont, et ce ne sont pas les moindres, celles sur lesquelles nous n’avons pas prise, qui veulent nous éloigner de tout choix de notre destin. Telle menace de baisser la note de notre pays –chose étrange qu’on a découvert depuis peu et dont on ne sait rien- car nous sommes notés en tant qu’état, non par un dieu le père, mais par des officines qui s’érigent en arbitres et dont personne ne semble nier la légitimité. La légitimité : quelle loi de notre pays en donne acte ? Dessous la menace se trouve pire danger : celui d’accepter sans discuter, de considérer une entreprise privée comme interlocutrice (voire plus : comme juge) d’un Etat. Cela tue tout sens civique , le citoyen est réduit à son action économique, il n’a plus droit a la parole. D’ailleurs, qu’on tente de remettre sur le tapis le choix des peuples à disposer d’eux-mêmes et c’est l’affolement chez nos supra-gouvernants. Bientôt peut-être, ceux-là qui considèrent aujourd’hui qu’il y a un ordre international supérieur, d’une certaine façon pragmatique et économique (pour le bien des peuples), et bien ceux-là jugeront bientôt inutiles les élections au suffrage universel. Ils ont chassé les idéologies pour en remettre d’autres en place, transparentes et mécaniques leur semble-t-il. Où ce système infernal va-t-il nous mener ? Je dis « nous », pour ramener le débat au sentiment d’appartenance à une communauté de destin, qu’elle soit locale, nationale ou internationale.

Depuis 1998 au moins, je regarde avec assiduité les matches de l’équipe de France de football à la télévision. Cela me procure des émotions que je partage avec mes concitoyens. Mais quel étrange moment que celui de la Marseillaise avant le match! En réalité un petit malaise s’installe, c’est indéniable, entre partisans (ils sont peu) du chant de l’armée du Rhin et ceux qui ne peuvent chanter (mimer, susurrer du bout des lèvres, voire ne rien laisser paraître). Les paroles : « marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons » sont habilement escamotées sur les lèvres en gros plans par les joueurs qui regardent ailleurs (qui donc préside à ce choix systématique des réalisateurs de télévision, ce cadrage serré, indiscret, sur –un à un - les joueurs alignés ? Est-ce que, pour changer, on ne pourrait pas voir autre chose ? Le public par exemple ?). Ils regardent ailleurs, ne sont-ils donc pas légitimes ? Des langues très mauvaises ont voulu y voir le signe d’une indifférence à la nation venant d’hommes issus de l’immigration, donc « pas vraiment Français ». Mais comment tenir rigueur aux joueurs de cet évitement? Dans une autre vie (improbable) de champion j’aurais fait la même chose. Même en tant que blanc de service je n’aurais pas eu envie de chanter à cette occasion ces paroles guerrières qui sont d’un autre temps : elles gênent plus qu’autre chose, elles rappellent des épisodes peu glorieux de l’histoire nationale (pour moi, enfant, témoin de la haine de l’autre, de l’Algérien, ressentie confusément dans l’air ambiant du début des années soixante). Quel sens donner aujourd'hui à ces paroles?
La fierté nationale existe bien lorsque l’équipe black-blanc-beur redonne quelque lustre et un rang à notre pays (malmenée, cette équipe, dénigrée par une presse sportive lamentablement tabloïde). Alors quoi ? Changer les paroles ? Rendre la Marseillaise muette ? Changer d’hymne national ?
Vous n’y pensez pas ! Le récit fondateur de notre République est immuable… jusqu’à ce que s’écrive un nouveau récit, national ou autre, européen ? Mondial ?

La fraternité est à réinventer dans notre communauté de destin (de langue, de culture) : elle est forcément anti-libérale, elle fait peur aux inconditionnels de la mondialisation, aux bénéficiaires des dérives des pouvoirs économiques qui voudraient voir disparaître les devises républicaines (sinon celles sonnantes et trébuchantes) au profit des « risques publics, bénéfices privés » dont ils s’accommodent par une confusion entre pouvoir économique et pouvoir politique.
Si la morale n’a plus sa place dans la gouvernance, alors la prédominance de l’argent-roi n’est pas non plus bonne à prendre.
Je pressens que le mot « fraternité » a de beaux jours devant lui, qu’il reprendra vigueur et sens. Ce qui divise affaiblit, il faudra bien un jour ou l’autre lutter contre la toxicité d’un système, quittant cette idée du « nous n’y pouvons rien », quittant cette acceptation confuse d’une opposition public/privé, improductif/productif, visible (médiatisé)/invisible (inconnu) qui profite toujours aux mêmes, un très petit nombre.

18:13 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fraternité

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