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22/10/2011

Dylan bouge encore

Tandis que la presse mondialisante se repaît du cadavre sanglant de Mouammar Kadhafi, dictateur de circonstance (il y a peu il était reçu en grandes pompes par notre pouvoir politique) pour notre bonne conscience et notre goût pour la terreur…
-je ne souhaite pas à mon meilleur ennemi, quels que soient ses crimes, une telle mort violente filmée, photographiée, multipliée, dégoût absolu-
… tandis que Kadhafi était ainsi exposé, je suis allé voir Bob Dylan en concert au Rockhal de Esch-sur-Alzette, seule ville à ma connaissance qui baptise ses nouvelles voies « avenue du Rock’n Roll » ou « avenue du Jazz », tournant franchement la page industrielle visible en ces lieux.

Quel rapport entre Kadhafi et Dylan ? Aucun, sinon l’âge et la génération, sinon les visages burinés –voire les costumes et le coiffes improbables-, aucun sinon tout ce qui les oppose radicalement. Mais l’actualité rapproche l’émotion imposée de celle qui est plus personnelle.

Bob Dylan


Dans ce sinistre cube en béton qu’est le Rockhal où s’entasse debout un public de toutes générations, le frêle Bob, sur ses fines jambes de septuagénaire, coiffé d’un grand chapeau blanc et habillé d’une chemise bleu-turquoise sous une veste gris souris, fait son show de sa grosse voix éraillée, dans une sono stridente et saturée, devant son piano électrique ou sur le devant de la scène avec son harmonica.
J’ai une relation à Bob Dylan toute particulière (personnelle comme pour beaucoup de ceux qui ont vécu ce compagnonnage) qui remonte à mes quinze ans et mes tentatives musicales à la guitare, qui a littéralement explosé à mes dix-huit avec Blonde on blonde que j’écoutais en boucle et qui accompagnait mes émancipations (amoureuses, sociales, artistiques). Peu d’artistes ont eu plus d’influence sur ce que je ressens et pense encore aujourd’hui, du sentiment de ma propre liberté, du désir d’être au monde. Relation affective, irraisonnée, oui, mais sans devenir fanatique (elle ne résiste pas à l’analyse, elle est atténuée par la variété de mes intérêts et par d’autres expériences). J’ai donc suivi Bob Dylan, cahin-caha, à travers ses moments de gloire, ses ratages, ses retours, je l’ai vu cinq fois sur scène, j’ai écouté tous ses disques, vu les films faits sur lui.
(Voyez Don’t look back de D.A. Pennebaker (1967) pour Dylan dans son propre mythe, voyez I’m not there de Tod Haynes (2007) pour comprendre le rapport qu’ont beaucoup de ses inconditionnels avec lui, voyez No direction home de Martin Scorcese (2005) pour apprécier son parcours d’auteur-compositeur).
A aucun moment ce compagnonnage ne m’a déçu. Aucun de ses concerts, même paraît-il les pires (où il fut question d’un auto-massacre de ses chansons), ne m’a paru indigne du personnage.
Et donc au Rockhal de Esch-sur-Alzette (rendons grâce aux Luxembourgeois qui m’ont permis de le voir plusieurs fois sur scène), Bob Dylan a fait son show après Mark Knopfler en première partie. Bob Dylan sur scène, c’est toujours un peu déstabilisant (que va-t-il nous faire, à quelle sauce va-t-il reprendre ses chansons) et source de sempiternels malentendus (une partie du public venu pour entendre le Dylan mythique des années soixante est forcément déçue). Il ne chante jamais de la même façon, distend et modifie, camoufle, amenuise ou grossit : un petit jeu s’installe, à qui reconnaîtra les chansons (Highway 61 revisited est franchement revisited) au point que certains reconnaissent les titres folk les plus variés derrière un déchaînement électrique.
Dylan a raison : plus besoin de prouver quoi que ce soit, juste la réinvention de soi-même sur les chemins aujourd’hui archi-balisés qu’il a lui-même défrichés il y a quarante ans.
Mais le monde n’a pas changé, malgré la chanson de 1963, il tourne toujours plus follement en absorbant toutes les voix qui se lèvent, en les digérant, en rendant vaine toute tentative d’échapper à son poids (changer la vie : Dylan comme Rimbaud). Que ceux que la malédiction des 27 ans tente (Brian Jones, Hendrix, Janis Joplin, Jim Morisson, Curt Cobain, Amy Winehouse) passent leur chemin : Dylan est toujours vivant. S’il a pris comme nous un bon coup de vieux, il ne démérite pas de sa jeunesse !
Le public est exigeant, il en attend toujours plus et le show est bref, exempt de rappel. Nul autre que Dylan n’a cristallisé autant d’attentes forcément déçues. Encore aujourd’hui, il semble qu’il ne peut que décevoir par la brièveté de sa prestation, par la distorsion de sa voix posée comme un couteau sur ses chansons, par la distance qu’il instaure avec son public, par son refus de toucher une guitare acoustique. Et pourtant il donne ce qu’il peut donner, il reste fidèle à lui-même, son concert est parcouru de moments de grâce (un moment la voix âcre admirablement posée, un solo d’harmonica, une émotion palpable), surtout il est juste (non pas virtuose comme Mark Knopfler), dans son inexactitude, son inachèvement, sa pratique de l’envoi sec, son peu de sollicitude envers son public, son peu de concessions.
Il demeure toujours en moi cette fidélité qui touche les vieux inconditionnels : que se manifeste le moindre signe d’une passion artistique de jeunesse, je pars illico sur les terres ou sur les mers comme un marin qui ne peut résister à l’appel du large.
Quand sonne Like a rolling stone, les larmes me viennent. C’est la fin du show. How does it feel ? Like a rolling stone!


All Along the Watchtower
“There must be some way out of here," said the joker to the thief,
"There's too much confusion, I can't get no relief.
Businessmen, they drink my wine, plowmen dig my earth,
None of them along the line know what any of it is worth."
"No reason to get excited," the thief, he kindly spoke,
"There are many here among us who feel that life is but a joke.
But you and I, we've been through that, and this is not our fate,
So let us not talk falsely now, the hour is getting late."
All along the watchtower, princes kept the view
While all the women came and went, barefoot servants, too.
Outside in the distance a wildcat did growl,
Two riders were approaching, the wind began to howl.


Tout au long de la tour de guet
"Il doit y avoir un moyen de sortir d'ici", dit le bouffon au voleur,
"Il règne une trop grande confusion, je ne ressens aucun soulagement.
Les hommes d'affaires boivent mon vin, les laboureurs creusent ma terre,
Personne à l'horizon ne sait ce que tout cela vaut."
"Aucune raison de s'énerver", répondit gentiment le voleur,
"Beaucoup ici parmi nous pensent que la vie n'est qu'une farce.
Mais, toi et moi, nous sommes passés par là, et ce n'est pas notre destin,
Alors, ne parlons plus à tort maintenant, il commence à se faire tard."
Tout au long de la tour de guet, les princes continuaient à regarder
Tandis que toutes les femmes allaient et venaient, les serviteurs aux pieds nus, aussi
Dehors au loin un chat sauvage gronda,
Deux cavaliers approchaient, le vent commença à hurler.
(traduction Pierre Mercy et Gérard Poillet (site bobdylan-fr.com)

19:42 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bob dylan

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