21/04/2012
Une campagne officielle
La démocratie fout le camp, les acteurs ne sont plus mobilisés, le décor devient incertain, les figurants sont trop : trop de drapeaux agités, trop peu de conviction, trop de manipulation dans les images.
Voyons… Chère France : un mélo mélancolique, presque romantique. Une France forte : y croit-il vraiment ? Ces économies qu’il va falloir trouver ? Où se cachent-elles donc ? L’accent est parfois presque biblique (ce qui n’est pas pour nous rassurer). La France aux Français : mais la dette appartient aux fonds de pension anglo-saxons ! La musique de générique est mi-angoissante, mi-bande-son du Titanic!
Je fuis la télévision dès que j’entends ce générique.
La campagne officielle, c’est le pire moment de la campagne. Avant, il y a eu de joyeux meetings, quelques (peu) débats intéressants, des nouvelles têtes, des rebondissements incroyables (DSK suit-il la campagne ?), des accents vibrants, une envie nouvelle.
Là tout à coup, c’est un désert dans la cacophonie, un calme plat dans l’agitation la plus désordonnée : tout bouge et rien ne bouge, tout est extrêmement et prudemment devenu immobile, figé plastifié enrobé, respirations retenues.
Il paraît, lit-on dans le journal aujourd’hui, que d’après un nouveau sondage un quart des électeurs change de « candidat favori » en fonction des résultats des sondages. Si l’on comprend bien, c’est une sorte de serpent qui se mord la queue : l’électeur est sondé et lorsqu’il voit le résultat du sondage, il peut changer d’avis. Voilà une belle énigme mathématique dont devraient tenir compte les sondeurs.
On devrait sauter la campagne officielle : c’est un moment trop dangereux où tout est tellement indécis : l’électeur peut encore changer d’avis. Il est tellement spectateur de l’élection qu’il peut à tout moment zapper.
J’exagère, je me moque. Il existe bien toujours une conscience et une culture politique dans notre pays, c’est d’ailleurs une de ses spécificités. Cette culture et ce goût du débat, comme d’ailleurs les lois électorales qui les permettent et qui placent à égalité toutes les idées, les grands comme les petits candidats, cela provoque parfois l’effroi dans les pays voisins où le débat politique est hélas très loin d’être passionnant et ouvert.
On en finit par s’entr’aimer dans la lutte, à aimer les lunettes vert-grenouille d’Eva, la (fausse) candeur de Poutou, les accents de renoncement de Sarko (malgré lui), l’aspect bon père de famille de Hollande, et Nathalie qui se détend, et Cheminade qu’on ne comprend pas mais qui devient sympathique… enfin presque tous, parce que tout ne se vaut pas.
Votez demain. C’est votre liberté !
15:52 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : campagne présidentielle, sondages
29/03/2012
Un peu de comptabilité
De l’école –que dis-je, de la maternité- tout est appareillé : intra-utero, l’enfant est déjà né, le corps déjà ausculté, mis en images, absorbé par la machinerie, scotché dans l’album de famille.
A l’école les savoirs, les compétences sont évaluées et rendues en comptes, graphiques, statistiques de circonscription, d’académie, pour le bien commun, l’édification commune et la comparaison aux niveaux national et international en vue d’un classement suprême devant lequel nous devrions nous plier. Ouf ! Que d’efforts !
Tout est calcul : le mot, l’image, la parole sont numérisables.
La pensée… quelle pensée ?
Tout est en place. La science triomphe. La machine est la seule valeur sûre, tant les hommes laissés à leurs incohérences, leurs irrégularités, leurs turpitudes ne présentent aucune perspective d’avenir fiable.
Les journaux, la télévision, les informations, tout contribue à cette notation généralisée, comme si l’idée ou la conviction étaient devenues choses indésirables, comme si tout devait subir une mise en conformité.
Et les états sont notés (tiens, depuis quelques mois on n’en parle plus… y a-t-il une trêve électorale?). Le citoyen, ainsi, risque de se tromper, de devenir un mauvais citoyen mal noté si, je ne sais pas, il vote mal (vote, tout simplement ?), véhicule des idées personnelles…
Et les sondages… à quoi ça sert ? A donner une idée de l’opinion publique ou orienter, manipuler les électeurs ? Quelle valeur ont les sondages ? Les élections présidentielles approchant, il devient insupportable de suivre ces courbes répétées jour après jour, comme l’on suit un championnat de football ou comme on lit les publicités dans nos boîtes à lettres, à l’affût de la bonne affaire. Les sondages sont un appel lancinant à l’immobilité, ou à l’ inconstance, ils sont suggestion, hypnose.
Nous ne sommes pas concernés. D’ailleurs, vraiment, nous ne sommes jamais sondés.
Un excès de civilisation
Le toujours intéressant Gérard Oberlé signe un billet (dans le numéro de mars de Lire) intitulé Ne faites pas l’amour, faites la guerre. Il y ressort un livre et un auteur (justement) oublié, Louis de Sainte-Marie (de son vrai nom Louis-Marie Rapine), qui commit un ouvrage justifiant l’usage de la guerre à des fins de morale religieuse et de salubrité publique (en 1807, Essais historiques sur l’effusion continuelle du sang humain par la guerre). Ce Rapine signe en effet : « Lorsque l’âme a perdu son ressort par la mollesse, l’incrédulité et les vices gangréneux qui suivent l’excès de civilisation, elle ne peut être retrempée que dans le sang ! »
Il leur faudrait une bonne guerre, comme disait le grand-père de Gérard Oberlé, lorrain besogneux, devant ces fainéants des générations suivantes qui profitaient de l’opulence du temps de paix sans la mériter, sans même avoir de reconnaissance pour leurs aînés.
Les générations passent : c’est toujours mieux avant, après nous le déluge, la rengaine est éternelle. Pas toujours partagée cependant -j’en connais qui prônent le contraire, qui encouragent et font confiance aux générations à venir-
Est-ce que la civilisation peut se trouver en excès ? Toujours cette idée de décadence, de chute, de fin des temps, qui parcourt l’échine de notre époque : la fin du monde annoncée depuis l’entrée de l’occident dans le machinisme (la machine viendra supplanter –détruire- l’homme, depuis Zola, Verne en littérature, depuis Lang au cinéma –Métropolis-).
L’idée n’est donc pas neuve. Ce que la religion et les pouvoirs ont véhiculé pendant des siècles (et peuvent encore véhiculer), la peur et la destruction pour des raisons morales, violence sourde et aveugle qui a maintenu ce qu’on appelait dans nos pays les « mortalités » (famines, guerres, épidémies) - maintenant le même niveau de population pendant des siècles- ce que la religion et les pouvoirs ont maintenu, ce sont ensuite les pouvoirs excessifs, les dictatures, les technologies responsables de destructions de masse qui les ont provoquées (guerres mondiales), alors même que les populations croissaient, que c’en était fini, semblait-il, des mortalités, que se dessinaient des solutions pour un pouvoir plus égalitaire, que la République pointait son nez.
Nous sommes aujourd’hui dans un présent qui file à toute allure, à l’excès. Le prophètes y sont naturellement nombreux qui prédisent le pire. Les règles sont instables. La chute est proche, entend-on au plus haut niveau, si l’on sort du chemin tracé. C’est à dire à nouveau : « après moi le déluge ».
Chiche ? Faîtes l’amour, pas la guerre !
Post scriptum (non coïtum) : allez voir Les adieux à la reine, le film de Benoît jacquot. C’est une nouvelle fois tout juste, bien joué, jamais insistant. Ces trois jours du début de la Révolution Française joués ainsi disent tout de ce que nous pouvons aujourd’hui ressentir de cette période. Le choix du point de vue (la cour en déliquescence vue par une très jeune femme) et le traitement du film est une merveille d’observation, de créativité et de délicatesse.
19:37 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chiffres, oberlé, jacquot
09/11/2011
Fraternité
Troisième mot de la triade républicaine, il est celui qui divise (comment en faire une devise ?), celui qui ne peut pas être institutionnalisé ni écrit dans la loi comme un droit. Il est à la fin, peut-être, la condition de l’application des deux autres, celui qui les permet.
Si la fraternité relève d’un précepte moral, elle n’est pourtant pas une mièvre assertion: les partisans de la Terreur de 1792 se réclamaient de l’adage « sois mon frère ou je te tue ». Si c’est en 1848 que la devise de la République est officiellement adoptée, en 1793 on fait inscrire sur les murs de Paris «République une et indivisible : Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort. La fraternité est donc le pouvoir du citoyen, celui d’aimer passionnément (jusqu’à l’extrême ?) les vertus de la République dans laquelle il s’inscrit. La République n’est pas un acquis, elle s’obtient par la lutte (le 19ème siècle a été une lutte incessante pour son instauration). Les dérives dont elle a été l’objet, la violence qui l’a accompagnée, les idéologies qu’elle a fait naître, tout cela s’est amenuisé, semble-t-il.
En 2011 tout est loin, mémoire étrangement perdue dans le monde de l’individualisme. Nous circulons passifs dans une rue colorée bordée de vitrines lumineuses, tentations ! Fraternité devient notre bonne conscience lorsque survient sur nos écrans le tsunami, le séisme, la révolte ou la guerre, provocant à la fois repli sur soi (notre peur intériorisée, ménagère) et le don aux associations caritatives qui seront l’alibi de notre immobilité. C’est tout ? Sans doute, non. Derrière les façades se trouvent mille choses inquiétantes dont, et ce ne sont pas les moindres, celles sur lesquelles nous n’avons pas prise, qui veulent nous éloigner de tout choix de notre destin. Telle menace de baisser la note de notre pays –chose étrange qu’on a découvert depuis peu et dont on ne sait rien- car nous sommes notés en tant qu’état, non par un dieu le père, mais par des officines qui s’érigent en arbitres et dont personne ne semble nier la légitimité. La légitimité : quelle loi de notre pays en donne acte ? Dessous la menace se trouve pire danger : celui d’accepter sans discuter, de considérer une entreprise privée comme interlocutrice (voire plus : comme juge) d’un Etat. Cela tue tout sens civique , le citoyen est réduit à son action économique, il n’a plus droit a la parole. D’ailleurs, qu’on tente de remettre sur le tapis le choix des peuples à disposer d’eux-mêmes et c’est l’affolement chez nos supra-gouvernants. Bientôt peut-être, ceux-là qui considèrent aujourd’hui qu’il y a un ordre international supérieur, d’une certaine façon pragmatique et économique (pour le bien des peuples), et bien ceux-là jugeront bientôt inutiles les élections au suffrage universel. Ils ont chassé les idéologies pour en remettre d’autres en place, transparentes et mécaniques leur semble-t-il. Où ce système infernal va-t-il nous mener ? Je dis « nous », pour ramener le débat au sentiment d’appartenance à une communauté de destin, qu’elle soit locale, nationale ou internationale.
Depuis 1998 au moins, je regarde avec assiduité les matches de l’équipe de France de football à la télévision. Cela me procure des émotions que je partage avec mes concitoyens. Mais quel étrange moment que celui de la Marseillaise avant le match! En réalité un petit malaise s’installe, c’est indéniable, entre partisans (ils sont peu) du chant de l’armée du Rhin et ceux qui ne peuvent chanter (mimer, susurrer du bout des lèvres, voire ne rien laisser paraître). Les paroles : « marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons » sont habilement escamotées sur les lèvres en gros plans par les joueurs qui regardent ailleurs (qui donc préside à ce choix systématique des réalisateurs de télévision, ce cadrage serré, indiscret, sur –un à un - les joueurs alignés ? Est-ce que, pour changer, on ne pourrait pas voir autre chose ? Le public par exemple ?). Ils regardent ailleurs, ne sont-ils donc pas légitimes ? Des langues très mauvaises ont voulu y voir le signe d’une indifférence à la nation venant d’hommes issus de l’immigration, donc « pas vraiment Français ». Mais comment tenir rigueur aux joueurs de cet évitement? Dans une autre vie (improbable) de champion j’aurais fait la même chose. Même en tant que blanc de service je n’aurais pas eu envie de chanter à cette occasion ces paroles guerrières qui sont d’un autre temps : elles gênent plus qu’autre chose, elles rappellent des épisodes peu glorieux de l’histoire nationale (pour moi, enfant, témoin de la haine de l’autre, de l’Algérien, ressentie confusément dans l’air ambiant du début des années soixante). Quel sens donner aujourd'hui à ces paroles?
La fierté nationale existe bien lorsque l’équipe black-blanc-beur redonne quelque lustre et un rang à notre pays (malmenée, cette équipe, dénigrée par une presse sportive lamentablement tabloïde). Alors quoi ? Changer les paroles ? Rendre la Marseillaise muette ? Changer d’hymne national ?
Vous n’y pensez pas ! Le récit fondateur de notre République est immuable… jusqu’à ce que s’écrive un nouveau récit, national ou autre, européen ? Mondial ?
La fraternité est à réinventer dans notre communauté de destin (de langue, de culture) : elle est forcément anti-libérale, elle fait peur aux inconditionnels de la mondialisation, aux bénéficiaires des dérives des pouvoirs économiques qui voudraient voir disparaître les devises républicaines (sinon celles sonnantes et trébuchantes) au profit des « risques publics, bénéfices privés » dont ils s’accommodent par une confusion entre pouvoir économique et pouvoir politique.
Si la morale n’a plus sa place dans la gouvernance, alors la prédominance de l’argent-roi n’est pas non plus bonne à prendre.
Je pressens que le mot « fraternité » a de beaux jours devant lui, qu’il reprendra vigueur et sens. Ce qui divise affaiblit, il faudra bien un jour ou l’autre lutter contre la toxicité d’un système, quittant cette idée du « nous n’y pouvons rien », quittant cette acceptation confuse d’une opposition public/privé, improductif/productif, visible (médiatisé)/invisible (inconnu) qui profite toujours aux mêmes, un très petit nombre.
18:13 Publié dans rebonds, vu d'ici | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fraternité