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25/09/2010

le cinéma exposé: une cinéphilie homéopathique

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Il y a, exposée au Centre Pompidou-Metz (par ailleurs très belle exposition Chefs d’œuvre ?), une série de dessins de Picasso (le peintre et son modèle) qui encadre un petit écran de même format où passe un extrait muet du film Le Mystère Picasso (1955) de Henri-Georges Clouzot. L’extrait montré est une séquence où Picasso peint sur papier translucide. La caméra est fixée derrière ce papier, la peinture semblant se faire d’elle-même (procédé d’ailleurs inventé en 1948 par Paul Haesaerts pour son film Visite à Picasso).
Etrange impression pour le spectateur de n’assister ici, ni à la projection d’un film, ni à l’exposition des dessins.
Où va l’œil en face de ce dispositif? Quelle hiérarchie donne-t-il quasi-automatiquement à ce qui est présenté? C’est l’écran qui capte mon regard, qui le phagocyte, par le simple fait du mouvement de l’image et malgré que le film n’y soit que pâlement reproduit. Ce sont les authentiques dessins qui lui sont soumis.
Il me semble que c’est alors double peine pour ce pauvre Picasso (qui doit déjà, d’où il est, subir des milliers de véhicules à son nom) : non seulement ses dessins sont impossibles à fixer, à voir, mais encore le long-métrage en couleur qu’il a fait avec Clouzot (avec quelle attention et quelle malice) est réduit à un extrait et à un format minuscules.
Ces dessins, même œuvres mineures de Picasso, s’effacent autour d’un film, œuvre majeure de Clouzot, qui lui-même s’efface par le fait d’être réduit à une simple citation. Nous avons ainsi tout à perdre à cette confrontation.

Cette exposition du cinéma pose un certain nombre de problèmes, elle n’est pas isolée et se répand dans la plupart des grands musées.
La citation du cinéma y est de plus en plus présente (comme la co-habitation cinéma/peinture a pu l’être de manière très bizarre il y a quelques années à la Cinémathèque Française avec l’exposition Renoir père et fils). La tentative de rapprochement par l’exposition me paraît toujours douteuse, incomplète, oublieuse.
Que veut-on faire dire au cinéma ? Pris par extraits, par fragments, indifférencié dans ses époques, ses multiples usages, ses « genres », il apparaît être une bouillie visuelle et sonore, un fond plastique et temporel sur lequel s’amplifient, se justifient presque les œuvres exposées. L’œuvre ne se suffit plus à elle-même, il faut la placer (sous prétexte de pédagogie ?) dans un bain de médiation composé d’autres traces et dont le cinéma, par son statut à la fois populaire et artistique, par son rayonnement, est la première victime.

On devrait dire « les cinémas » et ne pas oublier, avec André Malraux, que c’est aussi une industrie. L’élévation d’un film au statut d’œuvre ne va pas de soi. Cela dépend notamment de ce que le spectateur y place d’ « artisticité », en regard d’autres fonctions (documentaire).
Dans tous les cas le film n’est film que sous certaines conditions d’intégralité (de format, de temps, de projection), et cela sans même aborder la question d’un pureté ou d’une impureté du cinéma.
La notion d’œuvre, au cinéma, est ambiguë, embarrassante. Celle de chef d’œuvre encore plus. L’unanimité et l’universalité qui semblent devenir des critères pour juger de cela ne fabriquent que des produits de box-office, même pour des films anciens recyclés et devenus « cultes » pour l’occasion, accompagnés de produits dérivés.
Or l’expérience personnelle du spectateur est déterminante. Elle échappe à toute prévision. Le spectateur est au travail, plus ou moins, face au film qui ne s’adresse qu’à lui, dans sa longueur, sa vitesse, sa lenteur. Chaque seconde est une expérience de passion ou d’ennui, d’indifférence, d’exaltation ou de colère. Dans tout film passe pour lui, de manière personnelle, une palette de sentiments, de certitudes ou de questions. Aucun film n’offre, dans sa durée, une tension ou un intérêt constants.

Mais peut-être faut-il réfléchir autrement : le statut du film, exposé au musée ou dans un centre d’art, n’est pas d’être réellement exposé. Le statut du cinéma y est plutôt d’ordre décoratif. Il devient un ornement mental, c’est-à-dire qu’aujourd’hui l’extrait peut suffire à représenter le tout.
Nulle besoin, d’ailleurs, d’afficher le modèle authentique, c’est-à-dire le film lui-même. Il suffit qu’il soit à portée du spectateur, dans sa sphère mentale, dans sa mémoire virtuelle et il l’est : téléchargeable à l’infini.

Paradoxe dans le lieu de rencontre avec les œuvres d’art : l’image du cinéma véhiculée n’est qu’un faux souvenir, une construction partagée .
Est-ce une illusion de la connaissance ? Nous croyons connaître ce que nous n’avons pas vu, senti, éprouvé, car nous nous trouvons au centre d’une composition semblant personnelle mais en réalité partagée, même hyper-partagée, média-partagée.
Le monde finira-t-il par ressembler aux images que nous en avons fait ?
Il sera sécurisant d’avoir pour nous la certitude d’une limpidité et d’une connaissance du monde alors que nous ne serons jamais aussi proches du chaos.
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Est-ce vraiment Une visite au Louvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub?

19:06 Publié dans cinéma | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, musée, metz

19/09/2010

Rozérieulles, 1870

Ici le sang et les larmes ont séché depuis longtemps. Des générations découvrent à leur tour ce lieu de mémoire identifié discrètement et tendant à s’effacer parmi champs et forêts.
Il existe dans mon pays ces traces frontalières qui sont une identification ancienne : bornes-frontière frappées d’un côté d’un F et de l’autre d’un D souvent buriné par les vainqueurs, monuments-vigies dans la campagne, forts enfouis dans les forêts et les côtes alentour, signes de défis mutuels dans l’architecture et les rues de Metz que l’on aperçoit en contrebas, dans la vallée.
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Ici, sur la côte de Rozérieulles s’est tenue en août 1870 une grande bataille inauguratrice de ces déchirements entre France et Allemagne qui ont marqué un siècle, dernière guerre ancestrale, à chevaux et cuirasses, avant l’entrée dans la violence méthodique, brutale et industrielle du siècle passé.
Promenade par les petits chemins en sortant du village en direction de Gravelotte, entre forêts sur les côtes et, juste au-dessus, vers le plateau aux grands champs cultivés des fermes de Moscou et de Leipzig.
Ce plateau, jusqu’à Mars-la-Tour est parsemé de tombes, de bornes, de monuments aux morts.
A la lisière de la forêt de Rozérieulles se trouvent deux monuments en mémoire des hommes tués à cet endroit le 18 août 1870. Le premier, allemand, en pierre de Jaumont, rigide construction, est gravé des noms des officiers et de la croix noire. A quelques dizaines de mètres, plus discret, plus léger, presque fantaisiste dans son artisanat de fabrication, se trouve un monument français gravé de lettres maladroites, scolaires, posé là sans doute plus tardivement, après 1918 (lorsque cette terre est redevenue française).
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Le retour vers la vallée de Châtel-Saint-Germain, en vue de la ferme de Moscou, passe par cet arbre extraordinaire nommé « le hêtre des batailles ». Il résume à lui seul, par le hasard de son développement, par ses branches filant au ras du sol et donnant naissance à d’autres arbres, par son double tronc tourmenté, par de monstrueuses soudures de branches entre elles comme des êtres siamois, par l’énergie étrange qu’il dégage, il résume le lieu où nous sommes et l’histoire qui s’y trouve mieux que toute autre description.

Cette histoire figure peu dans les commémorations : elle a été vaine, elle est enfouie derrière de plus récentes et abominables. Elle prend le charme d’un conte, devient cet irréel récit dont les traces se perdent parmi les arbres.

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04/09/2010

La fête de la mirabelle à Metz

J’ai longtemps ignoré ou moqué la fête de la mirabelle, manifestation folklorique messine de fin d’été, avec ses chars fleuris et sa reine, mirabelle incarnée le plus souvent par une bonne Lorraine blonde, manifestation bien pensante, patriotique et politiquement bien correcte.
Le sabre, le commerce et le goupillon réunis en cette bonne vieille ville de Metz.
Nous appelions l’élue au sourire ravi la reine des quetsches, par opposition au fruit jaune, avec sa peau claire et sa coiffure impeccable et en allusion à un niveau intellectuel supposé assez bas, voire pour évoquer une autre partie de son anatomie.
Pendant près de soixante ans les reines, les défilés, les groupes folkloriques et les chars se sont succédés pour le ravissement de la population.
Le temps passant, rien ne semblait faire évoluer le fête qui prenait de l’âge, malgré des tentatives de rajeunissement ponctuelles (ah ces podiums où des chanteurs à la mode se produisaient en play back dans les années soixante-dix !).

Voici le défilé de 1949, proposé sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/AFE02014729/la-fete-de-la-mirabelle.fr.html


Puis, tardivement, j’ai lu les textes Philippe de Vigneulles, chroniqueur de la fin du 15ème et début du 16ème siècles, témoignage rare sur la fin de la république messine, écrite dans cette langue romane d’autre syntaxe, si directe et évocatrice :

En cellui temps c’on dit le gray temps, se firent plusieurs bonne joieusetés en Mets. Entre lesquelles fut mis sus ung chariot pour aller permi la ville, lequelle chariot estoit grans et gros, et bien triumphanment fait, et covert par dessus en manier d’une woulte ; sur laquelle woulte, et endroit du milieu, y avoit ung groz cuer blan et noir, sinifiant les armes de la cité ; et au quaitre cornée d’icelluy y avoit quaitre tornelles, aussy blan et noir ; et estoit paireillement tout le chariot blan et noir, et l’avoient les seigneurs maistre des murs de la cité ainssy fait faire pour le mener au jour du gray dimenche permi ycelle cité, et pour juer aulcunne chose moralle à l’onneurs de la dicte cité.


Ainsi, pour ne pas rester ignorant ni moquer sans savoir, les défilés de chars décorés ou fleuris ne datent pas d’hier, ni ce blason blanc et noir, décor minimaliste en guise d’armes de la cité. Bien qu’il ne fût pas question d’élection d’une reine mais plutôt d’une manifestation des pouvoirs politique et religieux, comprenant défilés des métiers et corporations :

Et premier, devés entendre que tous les maistre ouvriers, en quelque art mécanicque que se fût, qui avoient gaige de la cité, estoient dedans, devant ou après cellui chariot, puer juer le personnage à eulx donnés. Et, pour le premiers, estoit au millieu du dit chariot, bien triumphanment essis en une haulte chayre, ung grant ouvriez, nommés maistre Jehan, le tailleur d’imaige, demorant alors à la Pier Hardie. (…) Et tenoit grant gravités : car il représentoit en son personnaige la cité de Mets.


Tailleur d’images, autrement dit sculpteur, maître Jehan représente la ville, à ce moment précis, aux yeux de tous. Autrement dit, c’est lui qui fait les images. Il participe à l’élaboration du grand imagier d’une ville qui vit la fin de sa relative indépendance (près de cinq siècles d’une république patricienne travaillant à sa liberté entre empire germanique et royaume de France).
Aujourd’hui notre imagier, ici comme ailleurs, se construit plutôt dans les médias et au-delà de toute référence locale.

Metz est une ville étrange : ballottée au cours d’une histoire chaotique mais gardant ses particularismes, en proie aux différentes invasions mais en tirant sa richesse, en déficit d’image mais multipliant ses facettes. Du point de vue architectural, son histoire est extraordinairement lisible. Elle garde jalousement en elle une identité qui ne se soumet pas, elle se tait plutôt que se révolter, cache ses blessures.

Son rapport à la Lorraine est historiquement ambigu (le Duc de Lorraine fut longtemps son meilleur ennemi, elle fut annexée deux fois par l’Allemagne). Aussi à défaut de territoire, elle s’est cherché un terroir auquel se rattacher : la mirabelle est devenue symbole d’une certaine unité lorraine.

Voici la fête de 1967, toujours sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/S...


A travers la fête de la mirabelle il y a quelque chose qui resurgit, qui se révèle.
Pas dans la manifestation folklorique ou culturelle qu’on peut moquer et dont l’assise semble si fragilement prendre référence au passé.
Quelque chose qui m’a semblé lisible cette année où la fête s’inscrivait sous le signe de la musique bretonne et celtique.
La Bretagne n’a pas, je crois, d’équivalent en France de cohérence culturelle et d’ancrage populaire dans des racines et des traditions vivantes. Il suffit d’aller à n’importe quel fest noz de village pour voir une culture qui demeure et concerne toutes les générations ; une grande danse collective s’empare de chacun, pudiquement et avec ferveur.
Le concert celtique donné ce 28 août au parc de la Seille par Alan Stivell, Carlos Nunez et les bagads de Lann Bihoué et de Nantes a attiré foule et une ambiance peu commune, à l’étonnement même de ces artistes loin de leurs bases. Il faut dire que nous n’en sommes plus aux clichés de bretonneux régionalistes : c’est plutôt une musique de fusion, plus ouverte au monde et à des cultures différentes que la plupart des musiques actuelles.
L’impression ressentie alors, c’est qu’en face de cette identité culturelle forte et actuelle, cette musique jouée authentiquement (et avec virtuosité), surgit une réponse du public messin, proche de celle du public qui, au temps de Philippe de Vigneulles, suivait avec ferveur les défilés, cortèges et joyeusetés qui fondaient le lien social d’une communauté.