Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/12/2014

L'avenir du cinéma à Metz

Signez la pétition contre la fermeture du cinéma Caméo-Ariel de Metz et l'attribution d'un monopole du cinéma à Metz.

La municipalité de Metz et les élus de l'agglomération Metz-Métropole ont décidé d'offrir à un seul opérateur, la chaîne Kinepolis, le monopole de la distribution cinématographique pour la ville et son agglomération, dans un rayon de plus de 25 km (mis à part les deux salles associatives de Marly et Ars sur Moselle qui ne tarderont pas à être mal en point).
Kinepolis se voit ainsi offrir, sur un plateau, la construction et l'ouverture d'un multiplexe dans le nouveau (hénaurme!) centre commercial de périphérie, la Wave (gare aux anglicismes!), un autre multiplexe dans le quartier de l'Amphithéâtre (centre commercial Muse à proximité du Centre Pompidou-Metz), mais également, en centre-ville, avec la fermeture programmée du cinéma Caméo-Ariel (4 salles art et essai) et l'attribution du cinéma Palace, actuellement cinéma généraliste (tarif plein: 7,50€). Tout cela pour dans deux ans.

Kinepolis, pour qui ne le sait pas, c'est déjà depuis 1995 un multiplexe de 14 salles (plus de 4 000 fauteuils) en périphérie de la ville: parking, pop corn, tarif plein 11 €, blockbusters.

Un cauchemar? Un roman d'anticipation?
Que nenni! Les arguments de la Mairie sont les suivants:
- les deux cinémas de centre ville (Caméo et Palace, dont la ville est propriétaire des murs) doivent être rénovés.
- il existe un fort potentiel en terme de public à Metz et son bassin et ce potentiel n'est pas exploité (la Mairie estime qu'il y a un déficit de 800 000 spectateurs dans l'agglomération, se plaçant ainsi en juge de l'activité commerciale cinématographique).
- il n'y a plus d'argent car c'est la crise, donc on ferme et on donne au mieux-disant "commercial".

Le cinéma vendu à l'encan, c'est bien cela qui se passe, liquidé, balayé: ce sont les faits (la CDAC, commission départementale, vient d'entériner la décision, semble-t-il -parce qu'il n'y a pas beaucoup d'informations objectives-).

Les promesses à présent: toutes les associations messines s'occupant de cinéma et d'éducation à l'image (et même quelques autres qui ne sont pas vraiment des associations et qui ne sont pas vraiment messines -il faut du renfort pour faire passer la pilule-) sont invitées à élaborer ensemble un projet pour le futur cinéma Palace, au centre-ville. Toutes sont donc invitées à discuter avec Kinepolis qui promet (mais on ne l'a pas encore entendu) -dixit l'élu adjoint à la culture- de faire dans ce cinéma de l'art et essai et de l'éducation à l'image.
Objection: si Kinepolis savait faire de l'art et essai et surtout de l'éducation à l'image, cela se saurait, non?

Dans son essai "Esquisse d'une psychologie du cinéma", en 1946, André Malraux terminait par cette phrase célèbre: Par ailleurs, le cinéma est une industrie.
Cette chute prend à rebours tout son texte qui est un plaidoyer pour la valeur et la puissance artistique du cinéma.
Il semble que nos élus n'ont lu que la dernière phrase. Je les invite à lire tout le texte (qu'on trouve en salle de lecture de la Médiathèque de la ville, dans son édition originale).

26/10/2014

A propos de "Une histoire de vent"

Jeudi 13 novembre à 19h aura lieu au cinéma Caméo-Ariel de Metz la projection du film Une histoire de vent de Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens (1988) en présence de Marceline Loridan-Ivens (sous réserves). Ceci avec l'association l’œil à l'écran dans le cadre de la nouvelle exposition du FRAC Lorraine, Rumeurs du Météore (du 17 octobre au 11 janvier).

vlcsnap-2014-10-20-10h19m19s105.png


vlcsnap-2014-10-20-10h18m36s183.png


Le réalisateur Joris Ivens, aux côtés de sa co-réalisatrice et compagne, signait là son dernier film qui est un retour en Chine, sur des terres qu'il explorait déjà en 1938 lors de la guerre sino-japonaise et la lutte pour la création d'une république populaire (Les 400 millions, film de 1939), puis lors de la révolution culturelle (Comment Yukong déplaça les montagnes, série de 12 films déjà co-réalisés avec Marceline Loridan entre 1971 et 1976).

vlcsnap-2014-10-20-10h51m38s31.png


Celui qui se définissait comme un cinéaste révolutionnaire est allé sur tous les fronts où se déroulaient des combats politiques et des mouvements de libération des peuples (la Chine, le Vietnam, Cuba, le Laos, le Chili). Son regard de cinéaste, cependant, resta indépendant, plus proche des gens ordinaires qu'il rencontrait que des leaders et leurs lignes politiques.

vlcsnap-2014-10-20-10h43m35s68.png


La caméra qui lui servit au tournage des 400 millions se trouve aujourd'hui au Musée de la Révolution de Pékin: il l'a offerte aux apprentis cinéastes qui combattaient aux côtés de Chou-En-Lai. Cette caméra contribua la naissance du cinéma chinois.

Une histoire de vent est un retour pour lequel le cinéaste se met en scène: le vieil homme de 90 ans (il est né en 1898) revient sur ces terres chinoises qu'il connaît bien, pour filmer et enregistrer le vent: quelque chose, à première vue, d'improbable, d'aléatoire, une utopie, un rêve de cinéaste, une illusion!

vlcsnap-2014-10-20-10h22m22s139.png


Nous sommes plus sur le terrain de Georges Méliès (son film Le voyage dans la Lune y est d'ailleurs présent) que du côté des frères Lumière, alors que sa vie durant Ivens a filmé au plus près de la réalité des gens et des événements, allant jusqu'à prendre de réels risques en s'immergeant dans les situations sociales et politiques les plus difficiles ou dangereuses. Cependant il n'a jamais voulu être enfermé dans une catégorie, ni son cinéma dans une seule définition:
"Je vois tout l'art cinématographique dans un grand flot: film de fiction, film documentaire, actualités et des mélanges des trois genres." (entretien en 1977 pour la revue allemande Filmfaust).

vlcsnap-2014-10-20-10h10m50s131.png


Géographie, climats, eau et vent
Ivens était hollandais. Très tôt il s'est intéressé aux éléments naturels (la mer, la pluie, le vent), aux efforts des hommes pour se servir ou repousser ces éléments. Ses films Les brisants (1929), La pluie (1929), Zuyderzee (1930), Le chant des fleuves (1954), Pour le Mistral (1965), témoignent de cet intérêt. S'il y avait quelque chose d'expérimental dans ses premiers films muets, placés sous le signe des avant gardes et de Dziga Vertov, son oeuvre est irriguée par les lieux géographiques, les déserts, la mer, la puissance des éléments et les hommes qui se trouvent dans ces lieux. Les événements sont attachés aux lieux géographiques, topologiques, humains. Le vent représente à la fois l'Histoire et la Liberté: il chasse, il renouvelle, c'est le souffle nouveau qui balaye tout ce qui est figé, sclérosé.

vlcsnap-2014-10-20-10h21m58s160.png


A la recherche du souffle
Une histoire de vent, c'est aussi la recherche du souffle. Au sens propre celui qui manque au vieux cinéaste qui ne dispose plus, dit-il, que d'un demi-poumon. C'est aussi la recherche d'un souffle créateur, de l'inspiration: celle d'un artiste qui cherche à boucler son parcours (il y a bien un côté testamentaire dans ce film) et qui veut concentrer toutes les exactitudes: être présent au monde ici et maintenant, tout en étant en accord avec son passé, avec ses actions, avec ses sentiments et, surtout, atteindre une légèreté, physique, intellectuelle.

vlcsnap-2014-10-20-10h30m39s245.png


Pied de nez
C'est cette légèreté qui définit peut-être le mieux Une histoire de vent. Une jubilation, une jeunesse, parcourent le film de part en part. Le cinéaste jette un regard malicieux sur lui-même, sur son histoire et sur la situation en Chine en 1988 (regard critique sur ce pays, un an avant Tian’anmen que Joris Ivens aura tout juste le temps de connaître avant de mourir). Ainsi ses déboires filmés avec des fonctionnaires lui attribuant généreusement 10 minutes de tournage pour une séquence sur les guerriers de l'éternité de l'empereur Qin Shi Huang, lui qui côtoya Chou En-Lai, Hô Chi Minh ou Fidel Castro! Ainsi sa réponse pleine d'humour en mettant en scène des répliques miniatures de ces guerriers.

vlcsnap-2014-10-20-10h25m12s45.png


Fiction, documentaire? Fiction et documentaire! Loin de ce qu'on nomme aujourd'hui, par une espèce de soucis de classifier, "documentaire de création" ou, pire, "docufiction", Joris Ivens fait toujours bouger les lignes dans ce film que les cinéastes d'aujourd'hui auraient tort d'ignorer. Même plus de 25 ans après sa réalisation, il garde sa fraîcheur, sa fécondité et sa profondeur. Marceline Loridan, lors d'un entretien pour L'Institut Lumière de Lyon en 2009, insistait sur l'aspect novateur de ce film qui, disait-elle, avait 20 ans d'avance sur son temps (voir cet entretien).

vlcsnap-2014-10-20-10h09m33s125.png


Marceline Loridan-Ivens a continué seule une œuvre personnelle de cinéaste (La petite prairie aux bouleaux, avec Anouk Aimée, en 2003, où elle évoque son propre parcours de déportée, toute jeune fille, dans les camps nazis de Auschwitz-Birkenau). En 2008 elle publie ses mémoires (Ma vie Balagan).

(Les images de cet article sont extraites des films Une histoire de vent et Les 400 millions).

29/10/2013

Félix Basin dort

Nous sommes en hiver 1915-1916 en Argonne, au Four de Paris, sur la crête du ravin intermédiaire.
Félix Basin dort. Il dort en première ligne.
Les bons poilus veillent et son ami le lieutenant Le Cor le surprend avec son Kodak.

grande guerre,verdun,poilu,argonne,four de paris


Il appartient à la première compagnie de mitrailleurs du 30ème régiment territorial d'infanterie. Sergent.
Appartient à cela et à cette guerre qui ne le lâche pas.
Félix Basin dort.
O Paris
Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues et tes vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent
Comme des aïeules
Et voici des affiches, du rouge du vert multicolores comme mon passé bref du jaune
Jaune la fière couleur des romans de la France à l'Etranger.
J'aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche
Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m'emportent à l'assaut de la Butte
Les moteurs beuglent comme les taureaux d'or
Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Cœur
O Paris*

Comme Blaise Cendrars il songerait à Paris, sa ville, au Cours de Vincennes où il demeure avec sa femme Hélène et sa fille Raymonde.

grande guerre,verdun,poilu,argonne,four de paris


Félix Basin exerce le métier de peintre-décorateur. Il est mobilisé depuis le 4 août 1914. Il sera démobilisé le 25 janvier 1919, après 54 mois de guerre dont 45 mois de tranchées sans interruption.
Félix Basin dort, la nuque appuyée sur la terre humide, le casque relevé. Il dort apaisé, oublié de la guerre. Derrière les sacs de sable et les barbelés, le ravin. Au-delà, la côte boisée est calme. A peine entend-on le canon au lointain, le répit est appréciable.
Félix dort, il ne devrait pas car de là où il est, il faudrait surveiller le ravin.
Seul.
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours
Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité**

Comme Guillaume Apollinaire tout reviendrait dans un songe, il rêverait de l'amour.

grande guerre,verdun,poilu,argonne,four de paris


Mais la réalité est là-bas, derrière ces arbres maigrelets. Ses ennemis, ses semblables, peut-être observateurs sur la crête en face, comme lui, dorment en plein jour, épuisés.
Félix Basin dort. Il fait bon s'abandonner quand on le peut, quand on a lâché suffisamment de soi-même, quand on sait que tout peut s'arrêter là, qu'on ne peut être nulle part ailleurs et qu'on y est résigné.
Il en a déjà tant vu, il en verra encore, ces déchaînements démesurés, la mort, le sang la boue mêlés, les commandements absurdes.
Dans quelques semaines, ce sera Verdun.
Balistique et chimie se donnent la main dans un paysage de lune. Tout un vaste firmament de métal pèse sur la scène verdâtre. Et dans ce bouleversement, çà et là, accroupis dans les trous, entre deux cadavres, derrière un caillou, ou bien pliés dans un bout de tranchée, se tiennent les Poilus, les Poilus: des hommes déchiquetés dans leurs pensées et dans leurs chairs, avec de maigres faces noires sur des jambes en coup de bâtons, tout gonflés de musettes et de grenades, tout informes dans une étrange absence de sens, sourds, aveugles, muets, les mains crispées sur un fusil en feu, bavant de salives et de larmes lacrymogènes, vagues morceaux de vie, tessons, vides, stupides et insensibles, automatiques, à demi-ensevelis, à demi-vivants, à demi-morts:
Les poilus!***

Félix Basin dort.
En avril 1916, son régiment sera envoyé à Verdun, Côtes 309 et 310, puis à Mort-Homme.

* Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France; Blaise Cendrars, 1913
** poème Il y a dans Calligrammes; Guillaume Apollinaire, 1918
*** Les Poilus; Joseph Delteil, 1926

Félix Basin (1876-1949) laisse de sa guerre ses mémoires, des photographies, des dessins et aquarelles ainsi que divers documents (livret militaire, journaux, programmes de concerts aux armées, etc.).
Ces documents n'ont jamais été édités.

grande guerre,verdun,poilu,argonne,four de paris